The Strange Death of Europe de Douglas Murray: immigration, identity, islam

Dans ce livre, Douglas Murray analyse la situation actuelle de l’Europe dont son attitude à l’égard des migrations n’est que l’un des symptômes d’une fatigue d’être et d’un refus de persévérer dans son être. Advienne que pourra ! « Le Monde arrive en Europe précisément au moment où l’Europe a perdu de vue ce qu’elle est ». Ce qui aurait pu réussir dans une Europe sûre et fière d’elle-même, ne le peut pas dans une Europe blasée et finissante. L’Europe exalte aujourd’hui le respect, la tolérance et la diversité. Toutes les cultures sont les bienvenues sauf la sienne. « C’est comme si certains des fondements les plus indiscutables de la civilisation occidentale devenaient négociables… comme si le passé était à prendre », nous dit Douglas Murray.

Seuls semblent échapper à celle langueur morbide et masochiste les anciens pays de la sphère soviétique. Peut-être que l’expérience totalitaire si proche les a vaccinés contre l’oubli de soi. Ils ont retrouvé leur identité et ne sont pas prêts à y renoncer. Peut-être gardent-ils le sens d’une cohésion nationale qui leur a permis d’émerger de la tutelle soviétique, dont les Européens de l’Ouest n’ont gardé qu’un vague souvenir. Peut-être ont-ils échappé au complexe de culpabilité dont l’Europe de l’Ouest se délecte et sont-ils trop contents d’avoir survécu au soviétisme pour se voir voler leur destin. Cette attitude classée à droite par l’Europe occidentale est vue, à l’Est, comme une attitude de survie, y compris à gauche comme en témoigne Robert Fico, le Premier ministre de gauche slovaque : «  j’ai le sentiment que, nous, en Europe, sommes en train de commettre un suicide rituel… L’islam n’a pas sa place en Slovaquie. Les migrants changent l’identité de notre pays. Nous ne voulons pas que l’identité de notre pays change. » (2016)

LA COMPLAISANCE DES EUROPÉENS DANS LA DÉTESTATION DE SOI

 Il y a un orgueil à se présenter comme les seuls vraiment méchants de la planète. Tout ce qui arrive, l’Europe en est responsable directement ou indirectement. Comme avant lui Pascal Bruckner, Douglas Murray brocarde l’auto-intoxication des Européens à la repentance. Les gens s’en imbibent, nous dit-il, parce qu’ils aiment ça. Ça leur procure élévation et exaltation. Ça leur donne de l’importance. Supportant tout le mal, la mission de rédemption de l’humanité leur revient.

Ils s’autoproclament les représentants des vivants et des morts. Douglas Murray cite le cas d’Andrews Hawkins, un directeur de théâtre britannique qui, en 2006, au mi-temps de sa vie, se découvrit être le descendant d’un marchand d’esclaves du 16ème siècle. Pour se laver de la faute de son aïeul, il participa, avec d’autres dans le même cas originaires de divers pays, à une manifestation organisée dans le stade de Banjul en Gambie. Les participants enchainés, qui portaient des tee-shirts sur lesquels était inscrit « So Sorry », pleurèrent à genoux, s’excusèrent, avant d’être libérés de leurs chaines par  le Vice-Président  gambien.

« Happy end », mais cette manie occidentale de l’auto-flagellation, si elle procure un sentiment pervers d’accomplissement, inspire du mépris à ceux qui n’en souffrent pas et les incitent à en jouer et à se dédouaner de leurs mauvaises actions. Pourquoi disputer aux Occidentaux ce mauvais rôle. Douglas Murray raconte une blague de Yasser Arafat qui fit bien rire l’assistance, alors qu’on lui annonçait l’arrivée d’une délégation américaine. Un journaliste présent lui demanda ce que venaient faire les Américains. Arafat lui répondit que la délégation américaine passait par là à l’occasion d’une tournée d’excuses à propos des croisades !

Cette attitude occidentale facilite le report sur les pays occidentaux de la responsabilité de crimes dont ils sont les victimes. Ce fut le cas avec le 11 septembre. Les thèses négationnistes fleurirent, alors qu’on se demandait aux États-Unis qu’est-ce qu’on avait bien pu faire pour mériter cela.

Cette exclusivité dans le mal que les Occidentaux s’arrogent ruissèle jusques et y compris au niveau individuel. Après avoir été violé chez lui par un Somalien en avril 2016, un politicien norvégien, Karsten Nordal Hauken, exprima dans la presse la culpabilité qui était la sienne d’avoir privé ce pauvre Somalien, en le dénonçant, de sa vie en Norvège et renvoyé ainsi à un avenir incertain en Somalie. Comme l’explique Douglas Murray, si les masochistes ont toujours existé, célébrer une telle attitude comme une vertu est la recette pour fabriquer « une forte concentration de masochistes ». « Seuls les Européens sont contents de s’auto-dénigrer sur un marché international de sadiques ».

Les dirigeants les moins fréquentables sont tellement habitués à notre autodénigrement qu’ils y voient un encouragement. En septembre 2015, le président Rouhani a eu le culot de faire la leçon aux Hongrois sur leur manque de générosité dans la crise des réfugiés. Que dire alors de la richissime Arabie saoudite qui a refusé de prêter les 100 000 tentes climatisées qui servent habituellement lors du pèlerinage et n’a accueilli aucun Syrien, alors qu’elle offrait de construire une mosquée en Allemagne ?

La posture du salaud éternel, dans laquelle se complait l’Europe, la désarme complètement pour comprendre les assauts de violence dont elle fait l’objet et fonctionne comme une incitation.

LA CULPABILILITÉ OCCIDENTALE

Beaucoup d’Européens, ce fut le cas d’Angela Merkel, ont cru voir, dans la crise migratoire de 2015, une mise au défi de laver le passé : « Le monde voit dans l’Allemagne une terre d’espoir et d’opportunités. Et ce ne fut pas toujours le cas » (A. Merkel, 31 août 2015). N’était-ce pas là l’occasion d’une rédemption de l’Allemagne qu’il ne fallait pas manquer ?  Douglas Murray décrit ces comités d’accueils enthousiastes qui ressemblaient à ceux que l’on réservait jusque là aux équipes de football victorieuses ou à des combattants rentrant de la guerre. Les analogies avec la période nazie fabriquent à peu de frais des héros. Lorsque la crise migratoire de 2015 survient il n’y a pas de frontière entre le Danemark et la Suède. Il suffisait donc de prendre le train pour passer d’un pays à l’autre. Pourtant, il s’est trouvé une jeune politicienne danoise de 24 ans – Annika Hom Nielsen – pour transporter à bord de son yacht, en écho à l’évacuation des juifs en 1943, des migrants qui préféraient la Suède au Danemark mais qui, pourtant, ne risquaient pas leur vie en restant au Danemark.

Si beaucoup de pays expient l’expérience nazie, d’autres expient leur passé colonial. C’est ainsi que l’Australie a instauré le « National Sorry Day » en 1998. En 2008, les excuses du Premier ministre Kevin Rudd aux aborigènes furent suivies de celles du Premier ministre canadien aux peuples indigènes. Aux États-Unis, plusieurs villes américaines ont rebaptisé « Colombus Day » en « Indigenous People Day ». Comme l’écrit Douglas Murray, il n’y a rien de mal à faire des excuses, même si tous ceux à qui elles s’adressent sont morts. Mais, cette célébration de la culpabilité « transforme les sentiments patriotiques en honte ou à tout le moins, en sentiments profondément mitigés ».

GÉNÉRALISATION ET ESSENTIALISATION : DES CRIMES TYPIQUEMENT EUROPÉENS

 Si l’Europe doit expier ses crimes passés, pourquoi ne pas exiger de même de la Turquie ? Si la diversité est si extraordinaire, pourquoi la réserver à l’Europe et ne pas l’imposer à, disons, l’Arabie saoudite ? Où sont les démonstrations de culpabilité des Mongols pour la cruauté de leurs ascendants ?

« il y a peu de crimes intellectuels en Europe pires que la généralisation et l’essentialisation d’un autre groupe dans le monde».  Mais le contraire n’est pas vrai. Il n’y a rien de mal à généraliser les pathologies européennes, et les Européens ne s’en privent pas eux-mêmes.

L’EXALTATION DES AUTRES

Le pendant à l’autodénigrement et à la culpabilité européennes est l’exaltation de l’Autre, même dans les circonstances les plus invraisemblables. Le multiculturalisme, qui fait une place particulière aux cultures apportées par les migrants, s’il est vu comme LA seule solution au problème posé par l’immigration massive, a l’avantage de tenir à distance les prétentions hégémoniques des cultures européennes, dont il faut toujours se méfier.

Afin de devenir vraiment multiculturels, les pays européens ont insisté sur leurs mauvais côtés, exaltant par ailleurs les apports extérieurs : « Changer le passé pour qu’il s’adapte aux réalités présentes ».

C’est particulièrement vrai avec l’islam. Plus la réalité faisait douter de la « religion de paix et de tolérance », plus on vanta les mérites passés des civilisations islamiques, notamment du temps de l’occupation du sud de l’Espagne présentée comme l’exemple même d’une société multiculturelle harmonieuse et heureuse !  Embellir le passé pour se donner des raisons d’espérer.

En 2010, une exposition londonienne, « 1001 Islamic Inventions », faisait l’inventaire de tout ce que le monde islamique avait apporté à l’Occident, c’est-à-dire à peu près tout.

Quelle chance pour les musulmans d’avoir une civilisation pareille ! Tout plutôt que la civilisation européenne. La Suède, à ce petit jeu, gagne le pompon.

Douglas Murray raconte que la ministre suédoise de l’intégration, Mona Sahlin, déclara en 2004, dans une mosquée kurde, que beaucoup de Suédois étaient jaloux des Kurdes parce qu’ils possèdent une culture riche et unificatrice quand les Suédois n’ont que des choses ridicules telles que le fête de la Nuit de la Saint-Jean.

Quand il fut demandé à Lise Bergh, la secrétaire d’État spécialisée sur les droits de l’homme, l’inclusion…, si cela valait le coup de préserver la culture suédoise, elle répondit : « Bon, qu’est-ce que la culture suédoise ? Et avec ça je pense que j’ai répondu à votre question. » Mais, nous dit Douglas Murray, généralement, ce type de question est soigneusement évité en Europe, en raison des difficultés sous-jacentes : « Quelles parts de leur culture les Européens devraient-ils abandonner volontairement ? Qu’est-ce qu’ils y gagneraient et à quelle échéance ? »

En 2015, Ingrid Lomfors, la patronne de l’équivalent suédois du Mémorial de la Shoa, déclarait lors d’une conférence en faveur de la politique du gouvernement « Sweden together », en présence du roi et de la reine, que l’immigration en Suède n’avait rien de neuf, que tout le monde était un migrant et que la culture suédoise n’existait pas. Le soir du 24 décembre 2014, le tout juste ex-Premier ministre de Suède, Fredrik Reinfeldt, déclarait à la télévision que les Suédois étaient sans intérêt et que les frontières étaient des constructions fictives.

Mais l’Allemagne pratique aussi, à l’excès, ce souci de l’Autre. Après l’attaque du train en Allemagne en juillet 2016, il s’est trouvé une parlementaire allemande du Parti vert pour demander pourquoi la police avait tuer l’attaquant au lieu de le blesser.

Lire la suite sur le blogue de Michèle Tribalat

DOUGLAS MURRAY

THE STRANGE DEATH OF EUROPE

IMMIGRATION, IDENTITY, ISLAM

Bloomsbury Continuum , 2017, 352 p.

Related Articles