Evoquant les difficiles relations entre la Russie et l’Occident, le réalisateur serbe Emir Kusturica confie à RT sa vision de Vladimir Poutine, Donald Trump, et de la situation en Ukraine, en laquelle il voit une redite de la guerre de Yougoslavie.
RT : Vous avez un jour dit que la Serbie était respectée dans le monde entier, et ce grâce à Vladimir Poutine. Quelle en est selon vous la raison ?
Emir Kusturica (E. K.) : Vladimir Poutine, à mon avis, a fait quelque chose de très important pour le monde entier. Car, comme l’a dit un écrivain russe fort instruit, c’est la démocratie qui a souffert le plus après la chute de l’URSS.
A l’époque de l’Union soviétique, les démocrates français, italiens, anglais… tâchaient de démontrer à ceux qui étaient de l’autre côté du rideau de fer que régnait une vraie démocratie dans leur pays. Avec la chute de l’URSS, ils n’avaient plus rien à prouver à personne. Il ne fallait que suivre le mouvement du progrès naturel, qui est, en grande partie, alimenté par le côté obscur de la nature humaine.
Aussi, j’approuve les actions de Vladimir Poutine, qui, avec une manière, fine, qui lui est propre, remet la Russie sur pieds après la période Eltsine, afin que le peuple puisse être fier de son histoire et – et c’est le plus important – de sa culture.
Pourquoi l’Occident a-t-il des problèmes avec Vladimir Poutine ? Quels sont les avantages que présente la position du président russe ? Prenons l’exemple de l’Asie. Il s’agit de la région la plus peuplée, dotée de grandes puissances économiques, notamment la Chine. Les meilleurs réalisateurs asiatiques tournent des films dédiés à des questions d’éthique, d’auteurs des XIXe et du XXe siècles et que nous pouvons trouver dans les livres des grands écrivains russes.
C’est l’histoire qui nous montrera qui a raison et qui a tort, et non pas ceux qui essayent de réduire à zéro le rôle de la culture dans l’histoire de l’humanité. A chaque fois que je me rends en Occident, je m’entretiens avec des intellectuels qui en savent très peu sur Vladimir Poutine et la Russie contemporaine. Celui qui a interdit les importations de semences OGM mérite au minimum qu’on le respecte. C’est l’un des pires aspects de notre monde : nous sommes en proie à la production de Monsanto, qui n’a rien de naturelle et qui est quotidiennement à l’origine de cas mortels. Vladimir Poutine a interdit les OGM et revitalisé l’agriculture russe. Les résultats qu’il a obtenu sont splendides. En outre, c’est un homme qui préserve la culture de son pays. Pour cette raison, c’est un héros.
RT : Qu’avez vous pensé de la récente rencontre entre Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump ?
E. K. : Je considère que Donald Trump n’a toujours pas dit ce qu’il devait dire. Je parle des promesses faites au cours de sa campagne électorale, promesses qu’il a oubliées. Il y a deux choses à faire remarquer. Premièrement, le fait est que l’Etat profond est derrière toutes les décisions importantes prises aux Etats-Unis. Deuxièmement, le complexe militaro-industriel américain est tellement puissant que le président ne peut pas agir sans le consentement d’autres personnes. Je trouve que la position de Vladimir Poutine est positive et en même temps, supérieure. J’ai également remarqué un peu d’incertitude dans le comportement du président américain. Je dirais même que cette rencontre nous a prouvé que ce n’était pas lui qui prenait les décisions. Et ça, c’est un grand problème pour l’humanité dans son ensemble.
RT : Ici même, à Mecavnik, en Serbie, vous avez récemment tourné votre film On the Milky Road, dans lequel Monica Belucci et vous-même jouez les rôles principaux. Ce film a reçu un grand prix à Sébastopol, en Crimée. Le 23 juillet prochain, vous envisagez de donner un concert à Yalta, autre ville de Crimée. N’avez-vous pas peur des sanctions ?
E. K. : Non. La vie n’a de sens que si tu es libre, si tu fais ce que tu veux. Tout au long de ma vie, je suis resté fidèle à mes décisions, à ma façon de faire. Dans cette situation je préférerais que les sanctions soient imposées à ceux qui donnent des concerts, disons, à New York ou même à Washington, où tant de guerres ont été préparées. Prenons l’exemple de Mouammar Kadhafi, ou le chaos que les Américains sèment dans le monde entier depuis déjà 20 ans. Si on doit imposer des sanctions, ce n’est certainement pas contre des musiciens qui jouent là où ils l’entendent, surtout à Yalta.
RT : Que pensez-vous de la situation en Ukraine ?
E. K. : La situation en Ukraine, telle que je la connais, ressemble à celle qui a eu cours en Yougoslavie. Nous assistons aux pressions de l’Occident. Au cours de l’unification européenne, l’Ouest a divisé la Yougoslavie. Et quoi qu’on dise de l’impossibilité de maintenir son intégrité, la Yougoslavie divisée est devenue un casse-tête pour le monde entier. La destruction n’émane pas de ceux qui veulent sauver leur patrie, mais de ceux qui paient pour la déstabilisation de cette dernière.
Victoria Nuland [diplomate américaine, chargée de l’Europe au département d’Etat de 2013 à 2017] a déclaré publiquement qu’il avait fallu 50 milliards de dollars pour plonger l’Ukraine dans un tel chaos. En outre, comment pouvons-nous soutenir des gens qui ont des conceptions nazies ? Les événements qui ont lieu dans le monde prouvent que les pays capitalistes se dirigent vers le fascisme.