En anticipant son départ et en affichant le soutien de ses hommes, Pierre de Villiers a pris de court Emmanuel Macron sur le terrain de la communication. Pour Arnaud Benedetti, Christophe Castaner a fait une erreur en relançant la polémique.
En communication le plus difficile consiste parfois à se faire oublier. La séquence post-démission du général de Villiers a ceci de paradoxal que sur ce terrain de la com’ où il a jusqu’ici indéniablement démontré un réel savoir-faire, le pouvoir macronien semble en panne d’inspiration. Quelque chose semble s’être soudainement grippé, à l’instar d’un grimpeur virevoltant sur les cols du Tour de France et subitement en proie à une terrible défaillance. Coup sur coup, plusieurs éléments viennent corroborer ce constat d’un début de perte de main dont on ne sait s’il s’avérera durable ou passager.
Tout d’abord, les déclarations d’une rare sévérité de l’Hermès provençal d’Emmanuel Macron, le porte-parole du gouvernement, s’en prenant à la scénarisation supposée du départ de l’ancien chef d’État-major sous les applaudissements de ses frères d’armes. Non sans une grandeur teintée d’une forme de malice audacieuse, Pierre de Villiers a en effet prouvé qu’il savait manier, après l’humiliation subie, les images et les symboles. Il s’agit là d’un événement qui vise à montrer que bien que muette l’armée n’est pas dupe ; qu’elle a appris, elle aussi, depuis longtemps à communiquer et qu’à partir du moment où la gestion de l’image s’impose comme un moyen d’expression, silencieux mais signifiant, de ce quinquennat nouveau, il n’est pas fondamentalement surprenant que d’autres acteurs y recourent dans leur relation à l’opinion.(…)
Dans ce contexte relativement exceptionnel, les propos du secrétaire d’État Castaner mettant en cause la loyauté de l’ancien chef d’État-major, qualifié pour la circonstance de «poète revendicatif», loin de clore la crise viennent «réinfecter» la plaie, ouvrant la voie à une communication gouvernementale marquée maladroitement au fer rouge du ressentiment. Tout se passe comme si par une ruse de l’histoire le soldat, nonobstant les freins de son statut, parvenait à subvertir la com’ jusque-là insolente du politique.(…)
Ainsi se propage, brèche entrouverte dans l’irénisme jusque-là ambiant, une tonalité médiatiquement interrogative, parfois critique, souvent peu amène. L’offre éditoriale au cœur de l’été s’interroge. Elle s’interroge sur le silence de la ministre des armées, contrainte à venir s’exposer sur le plateau de TF1 au cours d’un exercice dont on mesure non sans peine qu’il fut une vallée de souffrances sémantiques. Elle s’interroge sur la capacité de l’hôte de l’Élysée à partager les eaux de l’autorité politique et de l’autoritarisme technocratique. Elle s’interroge inévitablement sur les conséquences d’une crise qui affecte non seulement le lien entre le pouvoir civil et les militaires mais sur les suites politiques de ce qui constitue une sortie de route communicationnelle. Elle s’interroge enfin sur ce que nous dit de sa psychologie profonde ce nouveau pouvoir après la déclaration à contretemps du porte-parole du gouvernement.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne, coauteur de Communiquer, c’est vivre (entretiens avec Dominique Wolton, éd. Cherche-Midi, 2016), et auteur de La fin de la Com’ (éditions du Cerf, 2017).