Voici la majorité des paysans français aujourd’hui représentée – le terme «défendus» serait incongru – par un homme qui les tient en haute estime : «Celui qui a 2 ha, trois chèvres et deux moutons n’est pas agriculteur», tranche Xavier Beulin dans sa définition d’une «vraie» exploitation agricole (genre si on n’a pas 300 ha à 50 ans, on a raté sa vie…).
On le comprend, car lui est un vrai paysan enraciné dans la terre : PDG de la Sofiprotéol, holding financier au chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros dont les activités se déploient aussi bien dans le commerce de la semence, de l’alimentation animale, à travers sa filiale Glon-Sanders, que celui du Diester, un biocarburant à base d’ester méthylique d’huile végétale obtenu par transestérification à l’hydroxyde de sodium.
Le groupe Sofiprotéol contrôle également les huiles Lesieur et Puget, mais aussi la société Farmor, un bijou de l’industrie agro-alimentaire produisant chaque année pour 125 millions d’euros de préparations à base de volaille bas de gamme (type nuggets, Pasta Box, topping pizzas), destinées à la restauration collective ou à la grande distribution.
Diffusé le 6 avril 2014 sur M6 dans «Capital», un documentaire révélait que Farmor importait du poulet brésilien industriel, au grand dam des éleveurs bretons au bord de la faillite. Merci Xavier ! Actionnaire du magazine la France agricole, Beulin est également administrateur du Crédit agricole, président du Conseil économique et social de la région Centre, président du port de La Rochelle et vice-président de la Copa-Cogeca, puissant lobby de coopérateurs agricoles européens agissant auprès de la Commission.
Tout ça sent bon la basse-cour et le foin frais. Voilà l’homme qui représente l’agriculture française à l’Elysée et à Bruxelles. La chaumière peut dormir tranquille, cet ultradéfenseur des OGM veille au grain. Pour lui, le terroir est un fonds d’investissement.
Aux commandes depuis 2010, Xavier Beulin incarne une vision moderne, conquérante, agressive de l’agriculture à visage bancaire. D’ailleurs, depuis qu’il tire les ficelles, la paysannerie se porte mieux. Avec une augmentation de plus de 12 % des dépôts de bilan par rapport à l’année précédente, 2013 a vu 1 261 exploitations agricoles mettre la clé sous la porte.
Il y a cinquante ans, la France comptait 2,5 millions de fermes. Elles étaient encore au nombre de 700 000 en 1990, on n’en compte plus que 515 000 en 2013. Près de 200 par semaine mettent la clé sous la porte. Certes, il s’en crée de nouvelles chaque année, mais, à ce rythme-là, on peut considérer que la France n’aura plus de paysans proprement dits en 2050, sinon des complexes agroindustriels au service des grands trusts alimentaires.
Dernier bastion de résistance à la banalisation globalisée, la ruralité agricole est porteuse d’identité nationale. A une réalité tragique s’ajoutent donc des perspectives dramatiques. Cela fait quarante ans que, de mensonge mitterrandien en fourberie chiraquienne et de fausse promesse sarkozyenne en renoncement hollandien, la caste politique nous mène en bateau avec des projets, des engagements, des serments jamais tenus.
Aberrante situation d’un pays doté des meilleures conditions et capacités agricoles du monde et qui voit ce fleuron de son économie péricliter dans la résignation généralisée. Cette démission est d’abord celle d’une société qui s’est vautrée dans la consommation de masse sans aucun discernement et qui a renié son éthique alimentaire. Accumuler, pour ingurgiter tout et n’importe quoi, n’importe comment, tout le temps et en tout lieu. Liée au climat, à la saison, à la géographie, c’est-à-dire à des paramètres naturels, notre agriculture a été mercantilisée de force, pour ne pas dire obligée de se prostituer aux intérêts de la grande distribution via ceux de l’industrie agroalimentaire.Et pour cause. Après cinquante ans de financiarisation technocratique, la voici à genoux, exsangue, humiliée, méprisée et, pis que tout, assistée par le contribuable allemand. Pour reprendre le proverbe chinois, La PAC donne un poisson à celui qui a faim, mais ne lui apprend pas à pêcher. Prochaine étape : la mise à mort des élevages de moins de dix vaches dont les aides vont être supprimées.
En ce sens, la lettre ouverte adressée par Xavier Beulin, aussitôt réélu ( avril 2014), au ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, en dit long sur la vision et les intentions de la FNSEA. Il n’y est question que de produire mieux pour produire plus, c’est-à-dire augmenter les rendements pour augmenter les profits par plus de chimie et de technologie, en allégeant les réglementations protectrices de la santé et de l’environnement.
«Arrêtons de dire non à ce qui est nouveau, retrouvons l’intérêt du progrès», lance Beulin, sous-entendu : gérons nos campagnes comme des financiers et livrons nos cultures au dieu OGM. Ce n’est pas de cela qu’a besoin l’agriculture française, mais de produire juste et bon pour que les paysans puissent vivre de leur travail en nourrissant leur pays. Il est évident que son secteur primaire devrait être pour la France une source de richesse phénoménale, lui garantissant et son autosuffisance alimentaire et des bénéfices records dans sa balance commerciale. Mais pas comme ça.
L’agriculture, avec sa diversité territoriale et culturale, son génie agronomique, ses réserves naturelles et ses trésors alimentaires, c’est le pétrole de la France. Au lieu de quoi nous importons 40 % de nos besoins alimentaires en éradiquant les filières françaises des produits concernés. Le productivisme générateur de malbouffe gagne partout du terrain. Les activités les plus précieuses, élevage, maraîchage, agriculture de montagne, sont aux abois alors que les gros céréaliers, nantis et pollueurs, se goinfrent sur les prix et les subventions de Bruxelles.