Entre 1945 et 1965, le mythe du paradis polynésien a fait rage à Hollywood. Redécouverte d’un style kitsch et joyeux.
Ce Californien en chemise hawaïenne, qui a fait des études de cinéma à Los Angeles, s’est pris de passion pour l’esthétique kitsch polynésienne des années 1950. Pendant des années il en a recherché les vestiges. Fort de ses mugs en fausse noix de coco, de ses pochettes d’allumettes en forme de hula girls, de ses menus ou meubles du Tropic’s de Chicago, du Kon Tiki de Phoenix, du Trader Vic’s de Oakland ou du Hurricane de San Francisco (un bar avec simulateur d’orage et éclairs stroboscopiques!), son trésor est, dans le genre, unique. Avec le temps, ce bric-à-brac d’exotisme débridé a pris une patine charmante. Celle des Cadillac Eldorado et des émissions de Les Paul. Celle des publicités vintage pour un ailleurs qui n’a jamais existé mais qu’on adore tout de même.
La mode, surnommée «tiki pop» en référence aux statuettes traditionnelles figurant une divinité tahitienne grimaçante, a fait fureur durant deux décennies dans une Amérique incluant alors nouvellement Hawaï. Elle a cessé brusquement à la fin des années 1960, taxée de sexiste et de raciste par les hippies moralistes. Motels et night-clubs de l’âge d’or West Coast ont alors fini sous le marteau-piqueur tandis que la marijuana et le LSD supplantaient le rhum.
Le tiki pop était né avant la Seconde Guerre mondiale à Los Angeles. Il a déferlé ensuite sur toutes les villes américaines. Le rigorisme «wasp» trouvait avec lui un exutoire. Enrichies par une industrie tournant à plein régime et débarrassées de la prohibition, les classes moyennes accédaient au bar. Tournée générale et voyage sur tabouret de rotin dans une jungle intérieure pour ces Mad Men troquant le soir venu leur cravate contre un collier de fleurs de tiaré.
Donnant le ton, le Coconut Grove rachète les palmiers factices du décor du Fils du Cheik, bluette à succès monstre de 1926 avec Rudolph Valentino. Hollywood et le tiki pop marcheront ainsi de pair. Depuis, Errol Flynn le Tasmanien – lequel suivait Stevenson et London -, Wayne, Bogart, Lewis et Martin se pintent en lorgnant les jambes de Joan Crawford ou d’Anita Ekberg fusant d’un paréo.Ava Gardner et Fred Astaire ont leurs habitudes au Hollywood Beachcomber. Parmi ses nombreux époux, Lana Turner compte le propriétaire du Tropics à Beverly Hills. On doit à ce cher Harry «Sugie» Sugarman l’invention du «Hollywood Walk of Fame», le trottoir aux empreintes de stars. Pour émoustiller sa clientèle, Don The Beachcomber («Don la déferlante») s’invente un passé de contrebandier. Il invite à ses fêtes tropicales grandioses son voisin Clark Gable. Quant à Frances Langford, «la blonde bambou», c’est la chérie des GI. Sa silhouette de pin-up est peinte sur le flanc des bombardiers.
Bruits de jungle
Car la guerre croise. D’abord dans le Pacifique, puis en Corée et au Vietnam. Mais elle ne semble jamais ternir la fête. Une mixologie tropicale très sophistiquée s’est élaborée en antidote. On salive devant les cocktails. Mai Tai, Navy Grog, Fog Cutter, Zombie (le rhum était pourtant absent du Pacifique), Scorpion, Dr Funk (à base d’absinthe, une invention du médecin de Stevenson à Samoa)… Sur les photos des magazines people, la casquette de yachtman penche joyeusement. Il y a visiblement de la houle sous les lustres en flotteurs de verre pris dans des filets de pêche. Autour, tout n’est que plantes en plastique fluorescent, cascades et dioramas de carton-pâte.
Le Quai Branly a reconstitué un de ces night-clubs de style «primitive modernist». Cette société des loisirs s’éclate au son de l’ukulélé et de la guitare hawaïenne. Bande-son en glissando, roucoulements et bruits de la jungle… Après une enfilade de sucreries, Presley se retire à Graceland. Il enregistre dans sa Jungle Room un double album collector. Il chante sans plus choquer. Brando, lui, héros malheureux des Révoltés du Bounty, déchante. Après sa mort en 2004 son projet d’hôtel n’était plus qu’une ruine. En juillet, avec 100 millions d’euros d’investissement, c’est un palace écologique qui sortira de terre. L’atoll de Tetiaroa, en Polynésie française, n’est donc plus inhabité. Dommage?
Sven Kirsten ne répond pas: «Le tiki pop est-il l’expression d’une certaine naïveté occidentale ou bien témoigne-t-il de ce à quoi l’humanité aspire de façon universelle: une amélioration du moi et l’espoir qu’au-delà des maux de la société moderne dus aux imperfections humaines, il subsiste encore des êtres et des lieux purs et innocents?»
Tiki pop, Musée du quai Branly (Paris VIIe). Catalogue Taschen, 384 p., 40 €. DVD de Sylvain Bergère, 52 min, 15 €. Tél.: 01 56 61 70 00.
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