D’habitude, les ouvrages consacrés au « management » sont d’une confondante banalité ou bien nous vantent à longueur de pages la gestion d’entreprise d’outre atlantique, sans aucun recul car le plus souvent fantasmée.
Le livre que vient de publier Philippe Schleiter : « Management Le grand retour du réel » [1], préfacé par Hervé Juvin – ce qui est déjà un très bon signe – constitue une agréable exception et on ne saurait trop conseiller de le lire et surtout de s’en imprégner.
Un auteur qui sait de quoi il parle
Philippe Schleiter sait de quoi il parle. Consultant depuis 15 ans, spécialiste du changement dans les organisations et chef d’entreprise lui-même, il a acquis une longue pratique des bonnes et des mauvaises pratiques managériales dans les grandes sociétés.
Mais l’intérêt du livre tient justement au fait que l’auteur se démarque de la littérature habituelle du genre, pour prendre un saint recul par rapport à ce que l’on désigne sous le terme management.
Et pour rompre aussi quelques peu avec le politiquement correct qui règne également dans la gestion d’entreprise, il n’hésite pas à tirer contre lui 15 « cartouches » didactiques, autour desquelles il articule son ouvrage.
L’entreprise dans l’arène de la mondialisation
L’ouvrage s’ouvre sur un significatif : hommage aux managers.
Pour l’auteur en effet, la mondialisation économique et financière ne nous fait pas entrer dans le monde de cocagne pour Bisounours que nous vantent les médias mainstream, mais au contraire dans une arène, c’est-à-dire un monde de concurrence et de confrontation, dans lequel les entreprises et ceux qui les dirigent se trouvent en première ligne, avec les nations européennes qu’elles incarnent.
« Mondialisation, vaincre ou mourir ! » écrit-il en tête de sa troisième cartouche.
Le ton est donné.
Une vision globale
L’intérêt de l’ouvrage vient aussi de cette vision globale que Philippe Schleiter met en oeuvre. Il ne reste jamais au niveau du microcosme de l’entreprise ou de l’individu. Il replace à chaque fois ses préconisations et ses analyses dans un contexte plus large : macro-économique, voire civilisationnel comme lorsqu’il souligne par exemple les ravages du principe de précaution, « symptôme d’une société qui pense qu’il suffit de légiférer pour s’extraire des tumultes du monde et retrouver une existence douillette » [2] alors qu’au contraire « le succès va au risque » [3].
Ou lorsqu’il dénonce la résignation de nos élites à la perte de l’emploi industriel en Europe, du fait des délocalisations, parce « délocaliser les usines, c’est délocaliser tôt ou tard la créativité » [4].
Ou bien encore lorsqu’il douche l’optimisme ambiant sur les vertus de l’intelligence artificielle en reprenant l’analyse du cabinet Roland Berger selon laquelle « la robotisation pourrait être aux cols blancs ce que la mondialisation fut aux cols bleus » [5].
En réalité c’est à un voyage critique au sein de la post-modernité triomphante qu’il nous invite, au prétexte de 15 denses leçons de management.
Un management responsable
Philippe Schleiter nous présente effectivement une autre vision du management.
Un management non pas autiste, autocentré sur « l’entreprise libérée », sur le « malaise des cadres », sur la tyrannie de l’instant ou sur ce qu’il nomme drôlement le « maternalisme d’entreprise ». Mais un management au contraire ouvert sur le monde et qui ne reste pas indifférent aux conséquences sociales des évolutions que l’auteur discerne. Donc qui n’ignore ni la durée ni le réel.
Un management enraciné, par conséquent, qui refuse de plaquer des schémas abstraits ou à la mode sur la gestion des équipes mais qui préconise au contraire de « conjuguer performance et enracinement et restructurer le récit de l’entreprise autour de cet équilibre, seul à même de fournir aux nouvelles générations les raisons de l’engagement » [6]. Un management qui soit certes au service de la compétitivité des entreprises mais aussi au service des réalités organiques qui font la vie des citoyens : un management socialement responsable en quelque sorte.
Un management qui redevienne donc aussi une aventure collective.
Une leçon de lucidité
L’auteur, on le voit, ne se résigne pas à la doxa libérale/libertaire/mondialiste à la mode et qui imprègne bon nombre d’écoles de gestion et d’experts médiatiques en tous genre !
Même si on n’est pas forcé de partager l’optimisme de Philippe Schleiter lorsqu’il se demande si, dans le chaos post-moderne qui vient, les entreprises ne seraient pas finalement le réceptacle de « valeurs qui, dans le reste de la société, ne sont plus qu’un vague souvenir » [7], force est de constater que son essai ne laisse pas indifférent.
Il nous invite en effet à la lucidité. Il nous montre également que les anciennes valeurs de notre civilisation restent toujours pertinentes à l’âge de la mondialisation économique.
Voilà pourquoi il faut lire « Management : le grand retour au réel » de Philippe Schleiter !
Michel Geoffroy- Polémia
« Management : le grand retour au réel », Philippe Schleiter, VA Editions, novembre 2017, 200 p., 18 €
[1] VA Editions 2017
[2] Page 172
[3] Page 173
[4] Page 123
[5] Page 161
[6] Cartouche trois, page 49
[7] Page 191