Dans son livre Daily Rituals. How Great Minds Make Time, Find Inspiration, and Get to Work, Mason Currey s’est amusé à répertorier les habitudes de plus de 150 personnalités. Bilan de ce curieux catalogue? Qu’ils soient compositeurs, peintres, architectes, dramaturges, scientifiques, écrivains ou encore poètes, les génies nourrissent tous leur fibre créative à grand renfort de routines bien calibrées.
Gustave Flaubert, par exemple, annonçait tous les matins son réveil à 10 heures précises en faisant sonner une cloche. Ses domestiques lui apportaient alors le journal, un verre d’eau, sa pipe et son courrier. Après avoir parcouru la presse, il toquait au plafond, signe qu’il était temps pour sa mère de le rejoindre dans sa chambre pour causer. En véritable forçat de l’écriture, l’auteur de Madame Bovary travaillait par ailleurs 12 heures par jour selon une routine bien réglée: après avoir tracé une phrase sur un manuscrit placé en hauteur sur un pupitre de musique, l’écrivain allumait sa pipe, se renversait sur son siège et contemplait les mots dans une atmosphère enfumée. Au bout d’un quart d’heure, il supprimait une virgule inutile. Au second quart d’heure, il remplaçait un mot inadapté. Après 45 minutes, il effaçait le tout et recommençait à zéro.
Benjamin Franklin travaillait nu une heure par jour
Doté d’une conscience aiguë de l’écoulement du temps, Benjamin Franklin segmentait quant à lui ses journées. Selon son scheme of order, une «charpente temporelle» qui trace le plan de la journée idéale, la bonne heure du lever est 5 heures du matin et celle du coucher 22 heures. Dans l’intervalle, l’inventeur du paratonnerre partageait ses journées entre le travail, auquel il consacrait 6 heures (de 8 à 11 heures et de 14 à 17 heures), la lecture (à midi), la musique et les divertissements (de 18 à 21 heures), et les repas. Convaincu des vertus de l’air frais, il travaillait nu tous les matins pendant une heure dans sa chambre, un rituel qu’il nommait le «bain froid» et qui était destiné à fortifier son corps et son esprit. Enfin, toutes ses journées débutaient et s’achevaient par deux questions: «Que vais-je faire de bien aujourd’hui?» et «Qu’ai-je fait de bon aujourd’hui?».
Beethoven comptait chaque jour les 60 grains de son café
(…) Après s’être levé à l’aube pour compter un à un les 60 grains qui composaient son café, Ludwig van Beethoven partait trouver l’inspiration dans la nature. La comtesse Thérese von Brunswick dira à son sujet: «Il aimait être seul avec la nature, pour en faire sa seule confidente.» Des propos corroborés par le compositeur lui-même: «J’aime un arbre plus qu’un homme», clamait-il.
Woody Allen prend des douches quand il est à court d’idées
(…) Aux promenades solitaires, d’autres préfèrent un espace d’intimité, une «chambre à soi» dans laquelle ils trouvent un calme stimulant. Edmond Rostand écrivait dans sa baignoire.
(…) D’autres encore entretiennent une relation fusionnelle avec leur lit. Winston Churchill se réveillait tous les jours à 7h30 et travaillait dans son lit jusqu’à 11 heures. Quant à Marcel Proust, il aurait écrit la totalité de son œuvre couché. Une habitude de travail qui a peut-être inspiré à l’auteur de Du côté de chez Swann son célèbre incipit: «Longtemps, je me suis couché de bonne heure.» Victime d’insomnies sévères, Marcel Proust consacrait toutes ses nuits à son éternelle recherche du temps perdu. A son réveil, vers 16 heures, il soulageait son asthme avec de l’opium et se faisait apporter par sa gouvernante Céleste un café et un croissant, toujours de la même boulangerie.
Les esprits créatifs aiment la solitude
(…) Autre particularité des esprits créatifs: leur amour de la solitude. Gustave Flaubert déclarait ainsi: «Bédouin, tant qu’il vous plaira; citoyen, jamais.» Pour Pablo Picasso, aucun travail sérieux n’est possible sans grande solitude. Goethe quant à lui était d’avis que l’on pouvait être instruit par la société, mais que seule la solitude était à l’origine de l’inspiration. Une idée également exprimée par Kandinsky dans son livre Du spirituel dans l’art, à travers sa célèbre métaphore du triangle de la «vie spirituelle»: le sommet, soit le génie, ne peut être qu’un point solitaire, pas une cohorte. «Il n’y a parfois à l’extrême pointe du Triangle qu’un homme seul», explique-t-il. Et c’est dans cette solitude, véritable école du génie, que naîtraient les idées.