A table citoyen! de Périco Légasse

Ce n’est pas d’aujourd’hui que « l’homme creuse sa tombe avec ses dents ». Mais si l’on en croit Périco Légasse, rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie de l’hebdomadaire Marianne et animateur de l’émission « Manger, c’est voter » sur la chaîne Public Sénat, il y a urgence à les montrer, les dents, contre la malbouffe ! Il y tient mordicus, il le crie dans un appel aux citoyens, un manifeste qu’ont reçu les membres du gouvernement, les parlementaires, le patronat…

Bon sens, bon goût, santé

C’est une démarche politique, insiste le critique gastronomique : s’il n’est pas donné à tout un chacun de lutter contre le chômage en embauchant, si les problèmes posés par la mondialisation nous dépassent, nous nous nourrissons en moyenne trois fois par jour… Soit, pour 66 millions de Français, 198 millions de repas quotidiens. Il suffirait qu’un petit pourcentage de consommateurs change ses habitudes alimentaires pour que le bon sens, le goût et la santé retrouvent progressivement leurs droits au pays de la gastronomie. Il faut miser sur eux plutôt que sur les instances gouvernementales et internationales : « Il est proprement hallucinant, tempête Périco Légasse, que les initiateurs et organisateurs de la Cop 21 n’aient pas intégré la question alimentaire à l’inventaire des thèmes liés aux grands dérèglements climatiques » quand on sait les dégâts environnementaux et sanitaires causés par l’élevage et l’agriculture extensifs.

La course mortelle du productivisme

Le drame, celui dont nos paysans sont les premières victimes, c’est en effet l’exploitation industrielle de la terre. On est passé de la culture à la production de masse qui abîme nos paysages et pollue les sols : démembrements, pesticides, surexploitation. Pour nourrir les foules ? Non, ça, c’est le prétexte ; l’objectif, c’est le profit. Pas celui des paysans poussés à la productivité par la FNSEA, prisonniers du surendettement, ligotés par les directives et dépendants des subventions européennes, mais celui des groupes industriels et des banques visant le jackpot au casino de la mondialisation. Les disparités européennes, les voracités du voisin allemand (qui, fort de sa main-d’œuvre venue des pays de l’Est, brade son porc en dessous de 1,30€ le kg « alors que les éleveurs bretons supplient les industriels de la viande de les payer 1,40€ ») ont achevé de mettre nos paysans à genoux. Du moins ceux qui n’ont pas fait le choix courageux, mais devenu payant, de l’agriculture raisonnée ou, mieux, biologique.

Le coût exponentiel de la mauvaise alimentation

Mais les prix ? C’est cher, le bio ! Moins que le médecin, les arrêts maladie et les décès prématurés, répond Périco Légasse – sans oublier que « le prix le plus bas dissimule toujours un vol ou un viol, qu’il faudra rembourser tôt ou tard ». « Choisir une tomate provençale bio à la place d’une espagnole traitée, en payant deux euros de plus du kilo, c’est (…) économiser dix euros de valeurs négatives, prélevées sur la facture chimique, sanitaire et sociale. » Une mauvaise alimentation provoque ou favorise le diabète, le mauvais cholestérol, et le cancer qui tue chaque année 63 000 Français. Comment ne pas s’étonner que nos contemporains, et pas forcément les plus pauvres, soient encore si nombreux à négliger ce qu’ils mangent, préférant économiser pour renouveler leur garde-robe, se payer un écran plat ou changer de smartphone ? Comment ne pas être choqué par l’indifférence de certains parents, pourtant soucieux de l’éducation et des études de leurs enfants, devant ce qu’ils ingurgitent à la maison ou à l’école ? Ne voient-ils pas le lien entre la malbouffe et la santé, mais aussi l’enjeu éducatif d’un apprentissage culinaire et gastronomique, impliquant la connaissance des aliments, de leur origine et de leur préparation, ainsi que la tempérance et la bonne tenue à table ? Alors que la Grèce elle-même, dont on vantait naguère le bienfaisant « régime crétois », vient d’être signalée par une étude sanitaire de l’OCDE comme détenant le triste record européen de l’obésité infantile (44% des 4-16 ans ! – merci les sodas et les fast-foods !), retrouver l’art convivial de bien se nourrir est un enjeu majeur de civilisation.

« Non à la barbarie alimentaire ! »

Mais une prise de conscience se dessine, les Français redécouvrent la valeur de leur patrimoine alimentaire, le bio est de plus en plus présent dans les grandes surfaces et fait son entrée dans les cantines scolaires. Encore un effort, et l’aliment sain ne sera plus perçu comme un luxe élitiste mais de première nécessité. « La vraie guérison viendra de la détermination du consommateur ». Non aux poulets prêts à consommer en huit semaines au lieu de cinq mois dans les années cinquante, aux vaches produisant 8 000 litres de lait par an au lieu de 2 000, aux poules qui pondent 250 œufs par an contre 130… « Non à la barbarie alimentaire ! » N’attendons plus, il y a urgence, avertit Périco Légasse : « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité moderne, la courbe d’espérance de vie s’est inversée » (selon l’étude du CDC – Centers for Desease Control and Prevention – publiée le 21 janvier 2016).

Allez, ce soir, on commence : on laisse tomber la salade en sachet et le plat surgelé à base d’ingrédients cultivés au roundup pour une bonne soupe aux poireaux et une omelette aux œufs sortis du cul de la poule… sans oublier, bien sûr, le verre de (bon) vin « parce que le vin soigne » ( excellent post-scriptum : « À vos verres, citoyens ! »)

À table citoyens ! pour échapper à la malbouffe et sauver nos paysans de Périco Légasse. Le poing sur la table, les éditions Cerf, 96 pages, 5 €.

 

 

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Surmortalité par suicide chez les agriculteurs exploitants!

Un tous les deux jours selon certaines études, deux par jour pour d’autres: le suicide chez les agriculteurs reste un phénomène difficile à estimer, même si le voile se lève un peu après des années de silence. Avec le lancement en mars 2011 du plan de prévention du suicide dans le monde agricole, à l’initiative du ministère de l’Agriculture qui l’a confié à la Mutualité sociale agricole (MSA), quelques données voient le jour. Une étude menée entre 2008 et 2013 a confirmé le chiffre d’un suicide tous les deux jours sur la période.

Comparés au reste de la population, les agriculteurs exploitants avaient 28% de chances en plus de se suicider en 2008, 22% en 2009. S’il n’est “pas possible de quantifier avec précision le nombre de suicides survenant chaque année dans la population agricole”, selon un rapport de l’Institut national de veille sanitaire, la “surmortalité par suicide chez les agriculteurs exploitants a également été observée au Royaume-Uni, en Australie, au Canada ou encore en Corée”. Selon un maraîcher du Morbihan, Jacques Jeffredo, sensibilisé au phénomène, deux agriculteurs se donneraient chaque jour la mort.

Il a organisé en octobre 2015 une journée dédiée aux familles des suicidés agricoles avec une messe célébrée à Sainte-Anne-d’Auray. A cette occasion, 600 croix ont été plantées, symbolisant les 600 agriculteurs qui, selon lui, se donnent la mort chaque année. Parce que le suicide reste une affaire intime dont les causes et le déclenchement peuvent être multiples, les données comptables restent difficiles à collecter. Mais les organismes professionnels et institutionnels tentent de répondre au problème.
Un numéro vert a été mis en place avec la MSA, que les agriculteurs en détresse peuvent appeler. Et des cellules de prévention du suicide ont été activées dans toutes les MSA, composées de médecins du travail, de psychologues, de conseillers en prévention et de travailleurs sociaux.

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