Jadis, le maréchal des logis Ludovic Cruchot – Louis de Funès, à la ville – et ses hommes faisaient la chasse aux nudistes. Comme il faut bien que tout change pour que rien ne change, c’est une autre brigade quelque peu similaire qui va se trouver chargée de veiller au respect des bonnes mœurs. Ce, hasard du calendrier, au moment même où l’Arabie saoudite exige de sa police de la promotion de la vertu et de la répression du vice de tempérer ses ardeurs.
Ainsi, Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, flanquée de Nicole Belloubet, garde des Sceaux, a-t-elle décidé de présenter, ce mercredi 21 mars, en Conseil des ministres, ses mesures destinées à lutter contre les « outrages sexistes » sur la voie publique. Le printemps s’annonce donc joyeux.
Notons que chaque infraction constatée pourra valoir à son auteur une amende allant de 90 à 750 euros, même si des stages de rééducation citoyenne et des peines de prison ferme ne sont pas encore prévues pour le moment. Sachant, de plus, qu’à péril national, mesures d’urgence, dix mille policiers devraient être tôt recrutés afin de faire enfin régner l’ordre moral dans les rues.
Évidemment, et ce, comme toujours, il y a chez les poulets chargés de faire la chasse aux coqs indélicats quelques interrogations mesquines : comment mettre tout cela en œuvre au quotidien et sur le terrain, par exemple ? À ces éternels mauvais coucheurs, Marlène Schiappa répond, sur les ondes d’Europe 1, d’un ton n’appelant guère la réplique : « Cette loi est applicable et on va démontrer qu’elle l’est ! » D’où les dix mille pandores de renfort plus haut évoqués.
Hormis le fait qu’un tel recrutement, digne des effectifs de figurants d’une production hollywoodienne, permettrait éventuellement de redéployer les forces de l’ordre là où elles seraient peut-être plus utiles – jungle de Sangatte et autres « quartiers » chauds ? –, demeure un petit problème. En effet, avant de condamner un délit, encore faut-il que ce délit soit précisément défini. L’exhibitionnisme, on voit ; c’est même fait pour. Mais « l’outrage sexiste » ?
Comme il existe une échelle des peines, est-il prévu de définir celle du vocabulaire employé ? Laquelle irait de « Vous êtes fort jolie mademoiselle et ce corsage vous va à ravir… » au plus lapidaire « Putain, que t’es bonne, chaudasse ! ». Non contents de trimballer le traditionnel attirail, menottes, matraque et arme de service, les argousins devront-ils bientôt se munir d’un dictionnaire et d’un traité de bonnes manières. Pis, de la parole au geste, il faudra graduer tout cela. Une main au valseur vaudra-t-elle un pincement du même postérieur ? Une seule fesse ou double peine pour les deux à la fois ? Et quid de la donzelle s’exclamant bruyamment « Mate-moi le bogoss… » à propos d’un représentant de la gent masculine ? Et du damoiseau s’extasiant à voix haute sur les charmes d’un garçon ? Et de la dame portée sur le beau sexe braillant que telle passante est plus que « bonne » ?
Mais là où ces mesures risquent aussi d’aboutir à des résultats hasardeux, c’est quand on prend celle des populations concernées, statistiques à l’appui : inutile d’aller se promener à Cologne pour s’en rendre compte, une simple balade porte de la Chapelle suffit. Là, chasse au faciès et harcèlement d’un autre genre, « raciste » en l’occurrence, pourraient bien se mêler de la partie. Ce qui nous ramène une fois de plus au problème de départ, consistant à définir le délit que l’on veut punir.
Prétendre qu’il y a « trop d’immigrés en France » équivaut à de l’incitation à la haine raciale. Mais assurer qu’il n’y en a « pas assez » ou « juste ce qu’il faut », c’est « bien » ou « tout juste bien » ? Voilà qui vaut pour Marlène Schiappa. Dire qu’elle est « jolie », ce n’est pas « bien ». Dire qu’elle est « moche », c’est encore moins « bien ».
La vérité oblige à dire qu’en tout cas, elle nous fait bien « rire », même si c’est un peu jaune. Ce qui ne relève en rien de la niakouophobie, on précise.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire