L’innocence archaïque

Peintre éminemment singulier, Henri Rousseau est un cas unique dans l’histoire de l’art européen. Son œuvre s’inscrit pourtant dans son temps, au tournant du XXème siècle.
Loin d’être une énième célébration de la naïveté du Douanier Rousseau, l’exposition a comme intention de démontrer combien son travail appartient à une tendance de l’art occidental qui, de l’Amérique à l’Europe, à partir du XVIe siècle jusqu’aux deux premières décennies du XXe siècle, a adopté un modèle stylistique de type archaïque, en opposant – inconsciemment ou consciemment – une peinture « anticlassique » à la peinture

« officielle » des différentes époques. En confrontant sa peinture à quelques-unes de ses sources d’inspiration, qui comptent l’académisme comme la nouvelle peinture, et aux œuvres des artistes d’avant-garde l’ayant intronisé comme père de la modernité, l’exposition se veut une mise en lumière critique de son art autour d’une réflexion sur la notion d’archaïsme.

Des œuvres de Paul Gauguin, Pablo Picasso, Carlo Carrà, Diego Rivera, Max Ernst, mais aussi des œuvres anonymes ou d’artistes parfois méconnus permettent d’évoquer la richesse des liens qui se tissent autour du Douanier Rousseau, creuset d’une voie originale dans l’exploration de la modernité.
L’accent est mis sur le rôle essentiel du Douanier Rousseau dans l’affirmation de l’avant-garde parisienne et internationale : Picasso, Delaunay, et les artistes de l’avant-garde allemande, au premier rang desquels Kandinsky, ont non seulement admiré l’œuvre de Rousseau, en faisant une source d’inspiration de leur propre travail, mais l’ont aussi collectionnée.

Moi-même, portrait-paysage (1889-1890, Prague, Narodni Galerie) et le Portrait de Monsieur X (dit Pierre Loti) (1906, Kunsthaus Zürich) annoncent, au début du parcours, la singularité de l’œuvre de l’artiste qui affirme être l’inventeur du genre du « portrait –paysage » : celui-ci trouve en réalité ses antécédents dans le portrait des maîtres anciens, illustrés par le Portrait d’homme au bonnet rouge de Vittore Carpaccio (Venise, musée Correr) ; cette œuvre influencera à son tour plusieurs générations d’artistes, tel Fernand Léger qui s’inspire du Portrait de Pierre Loti pour Le Mécanicien (Montréal, musée des Beaux-Arts).

Conçue autour de ce dialogue entre échos du passé et anticipations de l’avenir, l’exposition est organisée autour des thématiques récurrentes de l’œuvre du peintre : les paysages immobiles, peuplés de figurines anonymes et d’ « hommages » à la nouvelle modernité des avions et de dirigeables, ou encore les natures mortes ou les portraits d’enfants solitaires et souvent inquiétants (Pour Fêter bébé !, 1903, Wintherthur, Kunstmuseum), qui ont laissé des traces profondes sur Picasso et Carrà notamment.

Cette dimension « familière » de son art se développe en parallèle à ses images oniriques du monde à l’état sauvage : des chefs-d’œuvre tel Le Rêve (1910, New York, MoMA), vision fantastique qui annonce les atmosphères surréalistes, seront présentées à côtés des Jungles (Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, Bâle, Fondation Beyeler). « Compositions immenses, où le grotesque s’associe au tendre, à l’absurde et au magnifique », comme l’écrivit Ardengo Soffici en 1910, elles demeurent le témoignage de cet artiste visionnaire, à « l’œil innocent de l’enfant

Rousseau, Henri

Musée d’Orsay, jusqu’au 7 juillet 2016.

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