Par Alain Sanders
Il y a bien sûr father Brown, le fameux père Brown de Chesterton. Un clerical detective comme disent les Anglo-Saxons. Avec un grand supplément d’âme.
Mais puisque nous sommes avec les Anglo-Saxons, restons-y un peu. Avec sœur Fidelma de Kildare, héroïne d’une série de romans policiers de l’écrivain irlandais Peter Tremayne, pseudonyme de Peter Beresford Ellis (1). Religieuse de l’Eglise irlandaise du VIIe siècle, elle est juriste de formation. Elle est aidée dans ses enquêtes par le frère Eadulf. La plupart des titres ont été publiés chez 10/18.
Autre personnage de religieuse détective, mais dû à l’Américaine Margaret Ann Hubbard (1909-1992), sister Simon. En charge du service pédiatrique d’un hôpital, elle est la fille d’un policier assassiné avec son collègue par un voyou qu’ils allaient arrêter. Sister Simon a juré de consacrer sa vie et à Dieu, et au châtiment des méchants.
Ecrivain prolifique, Margaret Ann Hubbard a eu au moins un de ses romans (à ma connaissance) publié en France : L’Assassin prend le voile (Plon, « Le Ruban noir », 1954). Ce n’est pas un « sister Simon », mais l’action se déroule dans une école religieuse de jeunes filles en Louisiane, école dirigée par mère Théodore. L’idée de ce roman était venue à Margaret Ann Hubbard après un long séjour à la Nouvelle Orléans. Mystère – et crimes – dans les bayous ! Quand le roman fut publié en France, l’éditeur indiqua : « Fait assez rare pour être signalé, ce roman policier a été approuvé par l’Eglise catholique américaine. » Et elle eut bien raison : avec plus de mère Théodore (à savoir « don de Dieu »), l’Eglise catholique aurait une autre allure…
Il faut aussi évoquer – en en oubliant plusieurs, faute de place – le révérend Randollph (de Charles Merrill Smith), father Koesler (de William Kienzle), mother Lavinia Grey (de Kate Gallison), sister Mary Teresa (de Monica Quill), father Joseph Bredder (de Leonard Holton), etc.
Il convient de citer aussi, parce qu’elles sont de grande qualité humaine, les aventures du rabbin David Small (elles ont été publiées en français) de Harry Kemelman. Et une curiosité : l’imam Abu Tabah à l’œuvre dans Le Détective d’Allah (chez 10/18). C’est un personnage créé par Sax Rohmer plus connu, bien sûr, pour son diabolique docteur Fu Manchu. Détective auxiliaire de la police du Caire (au temps béni des colonies), Abu Tababh a cette particularité d’intervenir avant que les délits (vols, agressions, meurtres) soient commis. Et ça fait rêver, non ?
En France, nous ne sommes pas orphelins de clerical detectives. Comme le frère Raoul de Dragueville (de Guillaume Ducoeur) qui enquête dans la Normandie du XIIe siècle, par exemple.
Mais il y en eut beaucoup d’autres avant ça. A commencer par ma préférée, sœur Angèle, imaginée par Henry Catalan. Ses aventures (onze ou douze volumes, car je me demande si Sœur Angèle et les disciples de Saint-Hubert, pourtant annoncé, est jamais paru ; pour ma part, je le cherche toujours), mériteraient largement d’être rééditées.
Autre ecclésiastique détective, le frère Boileau de Jacques Ouvard. Jacques Ouvard est le nom de plume du révérend père Roger Guichardan (1906-1985). Après des études à l’Université de Lille, il avait obtenu son doctorat en 1933, avec une thèse sur le problème de la simplicité divine aux XIVe et XVe siècles.
Prêtre de l’ordre des Augustins de l’Assomption, il écrivit d’abord des ouvrages religieux de bonne tenue et une biographie du scout résistant Jean Traversat (2). Et il occupa le poste de rédacteur à l’hebdomadaire Le Pèlerin.
En 1959, l’éditeur Albert Pigasse lui demande d’imaginer pour la collection « Le Masque » (Librairie des Champs-Élysées), collection qu’il avait créée et qu’il dirigeait, une sorte de père Brown à la française. Sous le pseudo de Jacques Ouvard, donc, Guichardan va relever le défi et proposer un premier titre : L’Assassin est dans le couvent (1959).
Ce roman remporte le Prix du Roman d’Aventures en 1959. Le frère Boileau, un ancien commissaire de police entré dans les ordres, était né. Une longue série de 21 livres aux titres évocateurs va suivre : Frère Boileau se fâche (1965), Frère Boileau les fait danser (1966), La Demoiselle et frère Boileau (1972), Frère Boileau au four et au moulin(1973), etc.
La série est parfois inégale. Mais plusieurs titres (et je pense particulièrement au Plongeon du frère Boileau qui se déroule près de Lorient) ne sont pas loin d’égaler certains Simenon.
Sous son véritable nom, Roger Guichardan a notamment publié La Chasse aux prophéties (Bonne Presse, 1943), Pourquoi je fuis les cartomanciennes (Bonne Presse, 1946),Sainteté des mamans (Ed. du Centurion, 1967).
Avec Roger Ducouret (1912-1990), auteur de deux romans policiers pittoresques mettant en scène un prêtre, On a assassiné Monsieur le Maire (Mignard, 1954) et Le Mort jouait de la clarinette (1958), on a affaire à un sacré original.
Ordonné prêtre en 1937, il devient curé de Tusson, petite cité historique de Charente. Il a alors 30 ans. Il restera quarante ans dans le village. Donnant son avis sur tout et n’importe quoi, vivant dans un sympathique capharnaüm, passant une partie de son temps à s’empoigner, façon Don Camillo et Peppone, avec le maire du bourg, un instituteur athée. On peut penser que cet affrontement lui inspira son roman au titre vengeur, On a assassiné Monsieur le Maire…
Sur le site de l’Académie d’Angoumois, dont il fut membre (3), on indique : « Il est aussi celui qui accueille deux artistes mosellans réfugiés de la guerre, Robert Mantienne et Emile Viagers, qui vont décorer l’église dans un style inspiré de Bernard Buffet. Pour récolter les fonds nécessaires à l’école privée qu’il a créée, il invite des célébrités du show business comme Pierre Dac, Fernand Raynaud, Sacha Distel. »
On a assassiné Monsieur le Maire, dédié « à mes vieux amis, le colonel Rémy et Pierre Dac », démarre avec la mort du maire de Toumont (démarque de Tusson, bien sûr) poignardé le jour où on devait le décorer du Mérite agricole ! Vieil ami du curé du bourg, l’inspecteur Pavoine mène l’enquête. Mais il apparaît vite qu’il ne va pas s’en tirer sans l’aide du curé qui connaît son monde, lui.
Bien des habitants de Tusson se reconnurent – et pas toujours à leur avantage – dans ce polar à clef. Le Père Ducouret avait pourtant pris la précaution – sans convaincre – de citer André Maurois en exergue : « Ce roman est un roman ; ces personnages sont des personnages. Qui voudrait y reconnaître des êtres réels, vivants ou morts, prouverait qu’il ne sait ce qu’est un roman, et ce que sont des personnages. »
On lui conseilla la prudence et la retenue. Il n’en tint aucun compte et remit ça avec Le Mort qui jouait de la clarinette.
Il aurait fallu évoquer aussi les enquêtes du père Larronde (publiées jadis à la SAGE) créé par Sylvain Roche : Le Secret de l’abbé Ferval (1948), Le Grappin (1946), On a volé le Saint Sacrement (1942), La Valise vide (1948). Alors, une autre fois peut-être…
(1) Peter Beresford Ellis est également l’auteur, et sous ce nom, des aventures de frère Cadfael.
(2) Jean Traversat, scout-routier (Bonne Presse, 1945).
(3) Il y fut accueilli en 1970, au fauteuil précédemment occupé par Henri Fauconnier.