Charlie et la théorie du complot…

Nombre de jeunes voient désormais dans les attentats de la semaine dernière la longue main du Mossad ou de la CIA. Analyse d’un délire très partagé.

C’était attendu : tout événement irrationnel (et un attentat terroriste au nom de la religion est irrationnel par essence, ou passionnel, ce qui pour moi, revient au même) engendrant des réponses irrationnelles, le massacre opéré à Charlie Hebdo a très logiquement entraîné dans les classes – du primaire au supérieur – une déferlante d’attitudes irrévérencieuses (au mieux) ou agressives (souvent).

Ceux qui ne sont pas Charlie

“On aurait dû couper les mains de ces chiens avant de les tuer.” Voilà ce qu’ont pu entendre nombre d’enseignants. Sur Twitter, qui s’est révélé être, pour l’occasion, une usine à crétins, le hashtag (#) “Je suis Kouachi” a recruté 40 000 followers en deux jours. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce sont autant de terroristes en puissance, mais la police ferait bien de s’en occuper, si elle en avait les moyens. Partout, des élèves ont affirmé que des gens qui caricaturent le prophète, béni soit son nom, doivent être punis. À Châteauroux, des élèves musulmans ont roué de coups un gosse qui affichait “Je suis Charlie”. Ailleurs, c’est une prof qui s’est fait cracher dessus pour avoir inscrit la même chose sur la porte de sa classe. Et il ne s’agit pas d’incidents isolés.

La ministre de l’Éducation est allée participer à la minute de silence au lycée Buffon, qui est naturellement un lycée Potemkine, si je puis dire ; que n’est-elle allée dans tel ou tel lycée professionnel où la majorité des élèves a chahuté durant cette minute tragique ? Mais c’est que sa sécurité n’aurait pas été assurée. Autant laisser des enseignants en première ligne.

Au passage, un prof d’arts plastiques qui avait montré à sa classe de quatrième des caricatures de Charlie vient de se faire suspendre quatre mois – et la FCPE locale trouve cela tout à fait normal. Le camp du bien redresse la tête. Dans certains cas, il avait pris les devants : à Joué-lès-Tours, le nouveau maire de droite, Frédéric Augis, a fait enlever le “Laïcité” que le précédent maire PS, Philippe Le Breton, avait ajouté, sur la façade de la mairie, à la trinité républicaine. “Quand j’ai fait ajouter ce mot, explique l’ancien édile, certains l’ont vu comme une provocation. Je constate que c’est devenu un mot tabou.” Eh bien, oui. À noter que, dans cette même ville, l’attentat au couteau perpétré le 20 décembre par Bertrand Nzohabonayo est dénoncé par certains musulmans comme un pur montage policier – des policiers qui ont probablement entaillé eux-mêmes au couteau l’une de leurs collègues : quelle abnégation dans la mise en scène ! L’idiotie de l’hypothèse n’a pas empêché Mediapart de la relayer.

Le ministère de l’Éducation, avec une semaine de retard, a adressé à tous les enseignants un long message pour expliquer comment parler en classe d’un tel événement. Consigne : “respecter la sensibilité des élèves”. Et quand elle n’est pas respectable, que fait-on ? On écoute quand même des abominations proférées devant les petits camarades par des imbéciles illuminés ?

Liberté d’expression n’est pas agression. Ceux qui croient qu’il y a deux poids deux mesures parce qu’on condamne les délires islamistes mais que l’on met en examen Dieudonné pourraient y réfléchir à deux fois. Mais justement, ils ne peuvent pas.

La longue main du Mossad

Une centaine d’incidents, a dit le ministère. Avant d’en rajouter encore autant le lendemain. Broutilles, en regard du nombre d’établissements. Le ministère voit ce qu’il veut voir – l’ordre règne, en gros, et la compassion est quasi universelle. Par ailleurs, nombre de chefs d’établissement, dans un système dont le mot d’ordre est “pas de vague”, ont dû hésiter à faire remonter les faits. Il y a dans toute l’Éducation nationale une atmosphère de déni qui n’encourage pas l’honnêteté – ni la prise de risques. Quant aux enseignants, ils se sont trouvés comme toujours en première ligne : les consignes (hilarantes, pour qui prendrait le temps de les décortiquer, face au réel) sont arrivées hier, une semaine après les faits. Les opinions avaient eu le temps de se cristalliser, et même de durcir. La sottise est un processus exponentiel, surtout depuis qu’Internet permet de relayer, très vite, les points de vue les plus sanglants.

Qu’on se le dise : les 17 morts de la semaine dernière sont l’oeuvre du Mossad. Ou de la CIA. Des illuminati et des francs-maçons (si!). Ou des services de renseignements français. Leur but ? Dresser la population française (et mondiale, n’hésitons pas) contre l’islam, qui n’est qu’amour. Un acharnement incompréhensible, mais qui s’explique par la théorie (américaine) du “choc des civilisations”. Plus spécifiquement, de la part des Israéliens, il s’agit de légitimer, à distance et en billard indirect (tout le achiavélisme est là) le sort fait aux Palestiniens. Et d’abord, ce ne sont pas les frères Kouachi qui ont tiré, mais des agents secrets entraînés. Les partisans de la théorie du complot ont appris depuis quelques jours deux mots d’anglais de plus, false flag – le faux drapeau ou, si l’on préfère, la revendication bidon. Toute cette opération, à les en croire, est un montage. La carte d’identité oubliée dans la voiture est un artifice qui ne peut convaincre que des médias occidentaux. La voiture même n’était pas la même en partant de Charlie et en arrivant aux portes de Paris. Quant à Koulibaly, il a été manipulé par Netanyahou, qui souhaitait inciter le maximum de juifs français à émigrer en Israël – d’ailleurs, c’est réussi, ils partent en masse, que voulez-vous de plus comme preuve ?

Au besoin, j’en ai. Les “terroristes” ont tué des gens au lieu de brûler les archives. Ils n’ont pas tué d’agent de police au sol — sa tête n’explose pas, il est mort de mort naturelle (si !). Et chacun sait (sic !) qu’un musulman ne tue pas un autre musulman. Boko Haram en a massacré près de 10 000 au Nigéria, et l’État islamique continue ses découpages, et les sunnites irakiens déciment leurs compatriotes chiites ? Broutilles ! Mensonges ! Les médias sont complices du montage – d’ailleurs, ils sont tenus par des juifs, c’est bien connu.

Les théories du complot

Ce n’est pas la première fois. Le 11 Septembre a bénéficié des mêmes délires, et ceux qui qualifiaient la chute des tours jumelles d'”effroyable imposture” rééditent leur coup. Plus drôles, mais tout aussi étourdissantes, des théories selon lesquelles la mer Rouge a été peuplée de requins par les Israéliens pour faire fuir les touristes venus en Égypte, ou les vautours chargés d’espionner les territoires palestiniens (à l’heure où j’écris, le site de Slate, qui répertorie ces billevesées, est curieusement en dérangement).

Sans invoquer ces délires — encore que la foi accordée à ces aberrations soit proportionnellement inverse à leur crédibilité , on peut remarquer que la cinquième colonne de l’islam opère depuis vilaine lurette un bourrage de crânes dont on voit aujourd’hui les effets dévastateurs. Que les médias français, par exemple, accordent tant d’importance à un homme comme Tariq Ramadan, dont les vitupérations anti-profanateurs ont pu troubler bien des cervelles moins expertes que la sienne, est tout de même désolant.

Tentatives d’explication

À bien y penser, cette prégnance du Mossad n’est jamais que du racisme à l’envers (les juifs sont tellement plus intelligents –- et même, dit un élève de terminale, “on ne parle que de philosophes juifs comme Spinoza”) et surtout elle témoigne d’un immense complexe d’infériorité. Un complexe que les attitudes en classe (surtout ne pas “collaborer” avec les enseignants, tous racistes) corroborent chaque jour.

Autre hypothèse : l’idéologie islamiste a rempli ces crânes soigneusement vidés par un consumérisme sans âme et une école qui n’offre plus de réelles chances d’aller au plus haut de ses capacités. L’accent mis sur les “compétences”, au détriment des “savoirs”, sur les cultures “autres” au détriment de la culture gréco-latino-judéo-chrétienne (une culture que les juifs maîtrisent depuis longtemps, mais que les dernières modes pédagogiques refusent), sur le communautarisme qui ronge peu à peu l’appartenance à la maison commune, tout cela a vidé les cervelles. Et le djihad s’est engouffré dans cet abîme, comme je l’ai expliqué par ailleurs.

Tahar Ben Jelloun envisage une autre hypothèse –- l’inversion des codes et des valeurs : “Pour bien des jeunes Français d’origine immigrée, l’islam est une culture qui se glisse à la place de celle que la France a négligé d’instaurer en eux. Pour certains, le désir de mourir s’est substitué au désir de vivre.” Pour les jeunes djihadistes comme pour leurs émules, c’est de nouveau “Viva la muerte!”. Orwell déjà enseignait que le totalitarisme procède à de telles inversions. “L’ignorance, c’est la force”, “la liberté, c’est l’esclavage”, disent conjointement Big Brother et la superstition.

Il faut d’urgence rétablir la vie dans ses droits, rétablir la laïcité dans toute sa force, et enseigner de nouveau des savoirs réels. Le meilleur remède au djihad, ce n’est pas le cours de morale qu’envisage Najat Vallaud-Belkacem, c’est Voltaire, c’est Condorcet, c’est toute une culture du libre examen, de la tolérance, et de la séparation entre le domaine public et les comportements privés. Plus que jamais, écrasons l’infâme.

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