estompe.fr
Par Gaëlle Chamarande
Echo ne cessait de se demander comment elle pourrait aborder Narcisse. Ce Narcisse inaccessible qui passait son temps à longer les étangs, ce Narcisse bucolique aux mèches rebelles, aux profonds yeux noirs, à la bouche pulpeuse et rose glacée qu’elle aurait aimé goûter.
« Il va tout de suite se rendre compte de mon défaut de prononciation… prononciation… prononciation. Il va me trouver nigaude… nigaude… nigaude. Il va se moquer de moi. Il va peut-être m’humilier. Lier… Lier… Comment l’approcher ? Procher… rocher… ocher.
Elle savait, parce qu’il lui arrivait de le suivre lors de matinées ensoleillées, qu’il s’allongeait souvent près du lac Médée. Il butinait, un brin d’herbe dans la bouche, toute la nature semblant irrésistiblement attirée par son être.
Elle décida de s’y rendre, si elle n’arrivait pas à lui parler, elle pourrait au moins le contempler.
Le lac Médée était immense mais l’eau y était moins trouble à l’ouest près du grand olivier, et c’était là que Narcisse préférait s’agenouiller.
Elle s’approcha doucement, Narcisse se regardait intensément. Elle s’approcha plus près : le reflet du jeune-homme lui éclata presque au visage, dégageant une pureté, une luminosité inouïe.
Elle plongea dans le lac, elle voulait capturer cette image. Le reflet de Narcisse ne risquait pas de se moquer d’elle. Au même moment, Narcisse tombait dans l’eau la tête la première, attiré lui aussi par son image parfaite.
Leurs têtes se cognèrent dans le lac. Ils se trouvaient tous les deux au milieu du reflet de Narcisse qui s’élargissait de plus en plus, s’étalant jusqu’au bord du lac, déformant cette image idéale.
Echo attrapa Narcisse qui pleurait par les épaules et le ramena vers la rive.
« Comment t’appelles-tu ? »
« Echo… Echo.
« Echo-Echo ? »
“ Non Echo… Echo.”
“ Ah, Echo… Echo. Merci, Echo… Echo. Tu m’as sauvé la vie mais tu as fait bien mieux: tu m’as libéré. Je ne suis plus amoureux de moi-même. »
« Moi, je ne suis plus amoureuse… amoureuse de toi… de toi. »
« Tu étais amoureuse de moi ? »
« Oui… oui… ui. »
« Depuis longtemps ? »
« Depuis toujours… toujours… jours. »
« Et tu ne l’es plus ? »
« Non… non. Maintenant je suis amoureuse de ton reflet… amoureuse de ton reflet… »
Narcisse se précipita au bord du lac pour retrouver son image, mais il resta stupéfait face à l’eau : il n’avait plus de reflet.