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Dans le petit village d’Aubazine, en Limousin, se trouve étonnement le berceau d’une des plus grandes créatrices de mode française, et donc du monde. L’abbaye qui s’y trouve fut bien longtemps un orphelinat, qui eut le privilège d’accueillir mademoiselle Gabrielle Chanel, connue plus tard sous le nom de Coco. Elle a douze ans lorsqu’elle s’y retrouve pensionnaire, en 1895. Elle y passa six années de sa vie, six années simples, austères, à partager le quotidien des sœurs auprès desquelles elle apprend broderie et couture.
C’est donc à ce petit coin de Corrèze que nous devons l’éducation au bon goût de la grande couturière : emblème de l’élégance par la simplicité, du raffinement par la sobriété, c’est dans les vitraux même de l’abbaye, des entrelacs aux allures presque celtiques, qu’elle trouve son inspiration pour son légendaire logo (les deux C entrecroisés). Et en quoi peut on encore affirmer que cette enfance chrétienne a pu influencer la future carrière de génie de la jeune femme ?
La chrétienté, comme un astre, possède plusieurs rayons pour s’épandre sur la création. Ainsi l’éducation des sœurs dans un cadre religieux tel que la magnifique abbaye d’Aubazine, éduque tacitement le bon goût des jeunes filles par différents moyens: l’architecture est épurée et lumineuse, l’atmosphère de prière rend les journées sereines au sein de la cité médiévale qui l’entoure. L’enseignement y est adapté à la nature féminine, en lui apportant la douceur, la rigueur et la docilité qui font les grandes femmes.
Dans le renouveau stylistique apporté par Coco, cette éducation se retrouve dans le choix emblématique des deux couleurs, noir et blanc, qui lui sont devenues si personnelles. Elles ne sont pas sans rappeler les tenues des bonnes religieuses de son quotidien. D’elle et des deux sœurs, Julia et Antoinette, qui l’accompagnèrent dans cette enfance heureuse, elle fut celle qui en tira le plus, prouvant que l’éducation dans un couvent peut être le meilleur tremplin pour les jeunes femmes brillantes.
Coco Chanel dans son âge adulte fut, dit-on, assez mythomane, tout spécialement concernant son enfance. Elle dit à certains que ses souvenirs de l’orphelinat furent tous mauvais. Pourtant, c’est incontestablement de l’austère quiétude de celui-ci qu’est né son talent. Dans sa biographie de l’artiste, Edmonde Charles-Roux nous dit ces mots à propos d’Aubazine : « Les seuls facteurs de beauté sont les volumes, la seule richesse, celle de la pierre nue, le seul génie, celui des proportions ». À croire qu’elle décrit les collections de la griffe légendaire : aucun doute alors que ce sens du dépouillement forgea l’œil perçant de la jeune femme.
On dit même que l’escalier du transept lui inspira, plus tard, celui qu’elle fit construire dans sa villa de Roquebrune Cap Martin. Les cadres épurés et lumineux des fenêtres, dit-on, auraient donné leur silhouette au mythique flacon du N°5.
Les biographes s’accordent à penser que, si Coco méprise parfois dans ses souvenirs l’image d’Aubazine, ce n’est pas pour ce qu’elle lui apporta, mais pour ce qu’elle lui rappelle de sa condition d’orpheline après le décès de sa mère et l’abandon de son père.
Tous ne s’accordent pas cependant à croire les récits que mademoiselle Chanel fit de son enfance : en juin dernier, Henri Pochon fait paraître aux éditions Bleu Autour un ouvrage intitulé L’Enfance de Chanel. Appuyé de recherche dans les registre et les mémoires, il affirme que Coco n’aurait jamais été pensionnaire dans l’établissement, elle y aurait simplement rendu de fréquentes visites à ses tantes.
En un sens, qu’importe ? L’essentiel n’est-il pas de reconnaître l’impact immense de cette tendre abbaye cistercienne sur l’ensemble de la mode française ?