Limonov est tout, le reste n’est rien!

Quel auteur étranger peut se targuer d’être l’objet d’une biographie à succès de son vivant ? Qui peut passer une partie de son temps dans les geôles poutiniennes, soutenir les armes à la main la cause serbe ou ossète, se définir national-bolchévique, tenir à la fois du punk et du dandy, de l’ascète et du fornicateur ? Aimé et détesté à la fois par la droite et la gauche, incontournable, provocateur et pourtant si sage ! Bref, à lui tout seul, le natif de Dzerjinsk est un continent aussi vaste que la Sainte Russie.

Les deux dernières parutions des éditions Bartillat peuvent cependant nous aider à y voir un peu plus clair. D’une part avec Le Livre de l’eau, paru en 2014, qui se veut un goutte-à-goutte d’impressions limonoviennes sur une litanie de souvenirs s’égrenant tel un chapelet et, d’une autre, avec Le Vieux, paru en 2015 qui, lui, revient sur son opposition au régime poutinien, retraçant tumultueusement les années 2011-2013. De l’un à l’autre, se dessine en filigrane un personnage complexe mais attachant. Un homme qui ne semble pas changer avec les années, ne renie ni ses premiers récits, ni ses premiers engagements, ni sa volonté de changer le monde, ou plutôt de lui botter l’arrière-train. Sa sagesse l’a retenu de toute forme de retraite, à la Pyrrhus ou bonifiée.

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Limonov se nourrit de lumière. Il est complémentaire de son œuvre, devenant lui-même son propre personnage. Mais foin de toute caricature, quand bien même il se laisserait, par moments, corrompre par la facilité de la provocation ou la félicité des bras d’une jeune naïade. Quoi qu’il en soit, Limonov est mû par une formidable capacité à se réinventer, flirtant toujours plus ou moins avec un univers avant-gardiste prégnant et un franc-parler tout aussi présent, claquant de vérité. Pour le vieux Zek, un homme est tenu de se battre, malgré la peur, l’instinct de conservation et les privations (de liberté entre autres). L’angoisse… le châtiment des braves. L’ascétisme… le moyen d’élévation de l’âme. La solitude, discipline de la pensée. La vie… un étendard sanglant de passion.

Au travers de ces deux ouvrages, c’est une quarantaine d’années qui défilent, avec leur galerie de personnages, des flics aux procureurs, des intellectuels aux hommes politiques, de ses gardes-du-corps à ses maîtresses. Une vie dans la bigarrure, l’éclat et le risque, avec ces paysages de l’Altaï à Odessa, de New-York à Pont-Aven, qui reflètent son besoin d’élargir un horizon trop étroit. Vie désordonnée, mœurs de bohème, mais une morale saine et sauve qui vous permet de vous regarder sereinement le matin au réveil et d’attendre le dernier baiser de la mort.

Patrick Wagner – Présent

Edward Limonov, Le livre de l’eau, Editions Bartillat, 288 p, 20 euros.
Edward Limonov, Le Vieux, Editions Bartillat, 344 p, 20 euros.

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