De Montherlant, Georges Bernanos écrivait qu’il était « le plus grand peut-être de nos écrivains vivants ». Il y avait pourtant bien des différences, dans l’allure et dans l’esprit, entre les deux romanciers. Il faut donc deviner des raisons profondes d’un tel jugement. Des raisons qui valent également, au revers, pour comprendre que Céline avait surnommé l’auteur des Olympiques et de Mors et vita de « buste à pattes ». Bernanos, Montherlant, Céline. Et puis Aragon, qui nous ferait regretter des communistes comme lui : « J’ai le plus grand respect des hommes qui représentent vraiment la France ; et dans la littérature, je compte parmi eux Henry de Montherlant. On n’est pas plus Français que lui. » Si Montherlant demeure aujourd’hui lu, les publications, colloques et études le concernant sont bien rares.
L’année 2012 a pu bénéficier du quarantième anniversaire de sa mort – ô maladie française de la commémoration permanente ! – et offrir ainsi aux lecteurs la biographie de Philippe de Saint-Robert, ami des dernières décennies, parue sous le titre Montherlant ou l’indignation tragique. Il s’agissait, en fait, de la réunion de deux essais parus en 1962 et 1992, remaniés et augmentés. Saluons également l’ouvrage collaboratif dirigé par Christian Dedet intitulé Montherlant aujourd’hui qui réunissait notamment les jugements avisés de Christopher Gérard, Frédéric Saenen, Philippe Alméras et Michel Mourlet. Depuis ? Le grand silence… La nouvelle biographie de Sébastien Robert, publiée dans la désormais classique collection Qui suis-je ? des éditions Pardès, constitue donc une très agréable surprise.
Bien entendu, le format ramassé qu’impose la collection a contraint Sébastien Robert à éluder de larges pans de la biographie d’Henry de Montherlant. Le lecteur pourra toujours poursuivre avec les ouvrages de Pierre Sipriot ou de Jean de Beer, en plus des deux volumes déjà cités. L’auteur a également fait le choix d’insister sur le Montherlant romancier (notamment à travers ses deux grands cycles : La Jeunesse d’Alban de Bricoule et Les Jeunes Filles) et dramaturge, sans accorder de grande importance à l’essayiste, au moraliste, au sculpteur d’aphorismes.
A saluer : une analyse pleine de finesse de l’amour porté par Montherlant à la tauromachie, qui ne peut être jugé secondaire ni pour l’homme ni pour l’œuvre. L’épisode méconnu de l’élection, sans candidature, à l’Académie française est peint avec brio. Surtout, Robert place en pleine lumière un roman trop injustement oublié du vieux romain du quai Voltaire : Le Chaos et la nuit. Roman tragique qui évoque la guerre d’Espagne et les déchirures d’un homme dans les grands soubresauts d’une Europe déjà agonisante (nous sommes en 1963). Philippe de Saint-Robert commente : « Comme toujours chez Montherlant, le drame universel est concentré en une seule âme, qu’il élargit à sa dimension. » Nous voilà revenus aux rivages d’une autre œuvre, Bernanos à nouveau. Qui contestera alors la bouleversante beauté de la littérature française, qui fait voisiner de telles âmes sur les eaux tumultueuses de notre époque ?
Montherlant, par Sébastien Robert, collection Qui suis-je ?, éditions Pardès, 12 euros.
Pierre Saint-Servant – Présent