Filmer les horreurs de l’Etat islamique!

Durant un an, Ziad, 28 ans, a tout filmé pour l’EI à Deir ez-Zor : les exécutions, les opérations et les combats… Avant de trouver un moyen de fuir.

Quand la révolution syrienne éclate en mars 2011, Ziad vit avec sa famille à Homs, sa ville natale. Dès les premiers balbutiements du soulèvement, il prend part à la rébellion et monte avec des amis une association pour filmer les manifestations. Ce groupe d’amis, tous des amateurs, acquièrent très vite les techniques de tournage qu’ils exploitent à des fins de propagande anti-Assad.

Les combats incessants dans Homs incitent Ziad et ses amis à déménager fin 2013 à Deir ez-Zor. Dans cette ville du Nord-Est, ils poursuivent leurs activités. Les factions s’y succèdent, l’Armée syrienne libre, le Front al-Nosra et enfin le gropue État islamique (EI).

« Quand l’EI a pris Deir ez-Zor, il a coopté une partie de l’aile dure du Front al-Nosra. Quelques mois après la prise de la ville, nous avons été forcés de travailler pour l’EI. Avec Daech (acronyme arabe de l’EI), tu obtempères ou tu meurs ! Quelques camarades ont senti le danger et ont pris la poudre d’escampette. Je suis resté car je ne suis pas seul. Déménager encore une fois avec la famille au complet et partir vers l’inconnu, je ne pouvais pas. Et puis, les six premiers mois, Daech se comportait comme le Front al-Nosra, c’est-à-dire qu’ils nous laissaient travailler en paix et ne s’immisçaient pas dans la vie des gens. Mais, à l’été 2014, le vent a tourné. Ils forçaient les gens à se rassembler sur la grand-place pour assister à des exécutions. Daech a alors montré son vrai visage diabolique », explique Ziad.

Ziad et ses camarades sont contraints de filmer des décapitations, des hommes jetés des toits des immeubles, les combats au front et les opérations du groupe. Ces vidéos sont postées en ligne pour mieux faire régner la terreur. À la fin de l’année 2014, la machine de propagande de Daech est déjà bien rodée avec des professionnels qui filment tout et ne tremblent pas devant les dizaines de décapitations qui se déroulent chaque semaine devant des spectateurs terrorisés, contraints d’assister à ces scènes d’un autre temps.

Les vidéos sont soumises au centre des médias de Daech avant diffusion. « Le chef approuve ou pas les vidéos que nous lui remettons. Que ce soient les exécutions ou les combats, les combattants de Daech doivent toujours apparaître forts, glorieux et courageux. L’EI est très attentif à l’image qu’il diffuse, avec un contrôle maladif de chaque séquence, chaque plan. Ces images servent à dissuader quiconque songe à s’opposer à eux. Le niveau de barbarie est tel que n’importe quel être humain normalement constitué prend peur et n’ose pas se rebeller », poursuit le jeune homme.

Pour ne pas risquer de rater une miette de l’horreur, trois, voire quatre cameramen sont mobilisés durant les tournages. « Par moments, c’est comme le scénario d’un film macabre. Le bourreau arrive sur la place, le midane. Il contraint les habitants à venir le rejoindre. Le spectacle, ou plutôt la mascarade, commence. Il lit l’accusation, souvent de la pure invention. Un homme peut être accusé d’espion du régime, personne n’est là pour vérifier quoi que ce soit. La sentence tombe et c’est la condamnation à mort. L’homme est placé au milieu de l’agora, le public tout autour. Sa tête est tranchée ou c’est une balle à bout portant. Souvent, l’accusé a droit à des flagellations lorsqu’il a fumé ou n’a pas respecté le jeûne du ramadan. C’est assez ridicule quand on sait que les combattants boivent et fument durant le ramadan. Mais eux disent que ce sont des moujahidine et qu’ils ont besoin de force pour faire le jihad », raconte Ziad.

Son pire souvenir, la « scène la plus monstrueuse » à laquelle il a dû assister, est la lapidation d’une femme adultère. « Ils creusent un trou, laissent apparaître son visage et une partie de son buste, et là ils s’en donnent à cœur joie, comme des sadiques, jusqu’à son dernier souffle. Ils laissent les corps exprès pourrir sur place pour effrayer encore plus les gens. Et dire que des enfants sont en première ligne pour voir cette barbarie. Je me demande bien comment cette génération va grandir », poursuit-il.

À Istanbul, Ziad vit avec femme et enfants dans une banlieue éloignée. Entre les barres d’immeubles impersonnelles et les snacks syriens, il se planque au sous-sol d’un immeuble décrépit. Il craint les éventuelles représailles de Daech qu’il suspecte d’avoir des hommes infiltrés partout. Et, plus récemment, il tente de se faire oublier des autorités turques qui sont remontées contre Daech depuis le meurtre, le 26 octobre dernier, de deux soldats turcs à Diyarbakir lors d’un raid contre une maison où se cachaient des jihadistes.

Quand on lui demande ce qu’il l’a fait basculer et l’a décidé à fuir l’EI, il répond qu’il s’est senti pris au piège de cette machine à tuer alors qu’il s’était engagé aux prémices de la révolution pour combattre un régime oppressif. Avec Daech, il s’est senti complice de la barbarie et de l’exécution systématique de sunnites. Dès les premières décapitations, « je voulais m’échapper, mais ce n’est pas un jeu d’enfants. Ce groupe a un service secret très développé. Il fallait préparer minutieusement la fuite », dit-il en tremblant.

(…)

Aujourd’hui, Ziad voudrait surfer sur la vague des migrants pour fuir vers l’Europe et commencer une nouvelle vie, loin des horreurs vécues. « Istanbul est une ville où on peut se planquer facilement et qui offre des possibilités de travail. Ce n’est pas Byzance, mais je travaille dans une usine où je gagne de quoi subvenir aux besoins de ma famille. J’économise de quoi payer le voyage vers l’Europe», confie-t-il.

Source

Related Articles