Contre toute attente, on se serait donc décidé, au sommet de la pyramide pédago-maçonnique, de revenir, dans les écoles, à une dictée quotidienne. La nécessité d’un exercice aussi efficace que la pratique assidue de la langue, expliquée par notre prêtresse de l’indistinction universelle, ne manque pas de paraître surréaliste, comme le jeu du cadavre exquis. Il faut vraiment que le système panique pour, soudainement, se mettre à proférer des évidences.
Car l’orthographe, depuis le Grand Siècle, est devenue, sinon une affaire d’État, au moins un signe de civilisation. Nos éminents grammairiens, en bornant, en ciselant, en réglant l’usage de la langue, en en précisant le maintien, comme dans une cérémonie royale, ont contribué, tout comme les salons mondains, l’art de la conversation, à asseoir les arts français de la parole et de l’écrit sur un socle solide, et à permettre le rayonnement de notre génie.
Ce n’est certes pas un hasard que les « déconstructeurs » de la non-pensée 68 se soient attaqués en priorité aux liens que les mots entretiennent dans la langue, singulièrement quand il s’agit d’une pratique légitimée par l’assentiment des siècles. La grammaire aurait été « fasciste » et, par sa rigueur, aurait empêché le bon peuple de s’exprimer. La liberté serait au prix de l’anéantissement de toute discipline.
Le mot orthographe comporte, comme on le sait, le préfixe « ortho », qui signifie « droit ». Il est, bien entendu, question de correction, mais l’on concevra facilement que la correction s’applique aussi à l’art de se conduire en société, à la capacité de se maîtriser et au respect que l’on a de son paraître, notamment dans l’habit, qui n’est pas sans indiquer à quel genre d’habitude on a tendance à se vouer. Aussi l’orthographe est-elle un exercice spirituel, moral : il y faut être consciencieux, attentif, concentré, logique, et le bonheur d’un texte sans faute vous est donné comme une récompense. Ajoutez-y l’amour du mot, qui semble manquer à nos partisans du nettoyage radical, l’attachement à une histoire de la langue française, qui garde en elle la mémoire d’un passé brillant, et vous aurez de quoi peupler de mille fleurs le parterre de votre ennui.