« J’ai conquis Rome, je vais désormais conquérir le paradis. » La citation s’inscrit en lettres sombres, devant un décor kitsch montrant dans le couchant le pont Saint-Ange, le Colisée et la basilique Saint-Pierre, et, incrusté dans le coin droit, un portrait du chef du clan mafieux des Casamonica, Vittorio Casamonica. Le photomontage, imprimé sur une bannière de quelque trois mètres de large, ornait l’entrée de l’église San Giovanni Bosco où ont eu lieu, jeudi 20 août, les funérailles du parrain d’origine sinti, mort d’un cancer à l’âge de 65 ans.
Ce n’était pas la seule extravagance que s’est accordée la famille de Vittorio Casamonica pour célébrer son patriarche, sobrement rebaptisé pour l’occasion « le roi de Rome ». En guise de corbillard, un superbe carrosse noir tiré par six chevaux a déposé devant l’édifice religieux le cercueil, porté par une foule éplorée alors qu’un ensemble de cuivres entamait la célèbre bande originale du film Le Parrain, et qu’un hélicoptère larguait des pétales de roses sur l’assemblée. A la sortie, une Rolls Royce attendait le corps du patriarche, tandis qu’un enregistrement de Vittorio Casamonica en personne entonnant le célèbre My Way de Paul Anka tirait les larmes des convives…
Le faste ostentatoire de la cérémonie n’a guère réjoui les autorités italiennes, qui se sont insurgées devant l’ampleur de l’hommage offert à un homme soupçonné à de multiples reprises de fraudes, d’extorsions ou encore de trafic de drogue. Plusieurs fois arrêté, Vittorio Casamonica, dont le clan opère essentiellement dans la périphérie sud de Rome, n’avait certes jamais été condamné. Mais les Casamonica sont cités dans l’enquête sur le réseau mafieux infiltré dans la mairie de Rome, pour lequel la justice a annoncé mercredi que 59 personnes comparaîtraient dans un « maxi-procès » devant s’ouvrir le 5 novembre.
Le ministre de l’intérieur, Angelino Alfano, et le maire de Rome, Ignazio Marino, ont réclamé des explications au préfet, qui a pour l’instant évoqué « une faille dans le système ». « Il est intolérable que des funérailles soient l’instrument des vivants pour envoyer des messages mafieux », a insisté le ministre de l’intérieur. Rosy Bindi, présidente de la commission parlementaire antimafia, a jugé « inacceptable et préoccupant » que de telles funérailles aient pu se transformer en un « spectacle débridé du pouvoir de la mafia ». Une nouvelle preuve, selon elle, de l’infiltration du clan au sein de l’administration de Rome, alors que le journal italien La Repubblica note que la tradition mafieuse fait des funérailles officielles l’occasion d’une « démonstration de force » des membres d’un clan et la « preuve qu’ils sont là pour plus longtemps » que les autres groupes mafieux.
La police, elle, a cherché à minimiser l’événement, affirmant notamment que le patriarche avait perdu de sa puissance ces dernières années, opérant « à la marge » du crime organisé. Elle a également signalé que le survol du lieu par un hélicoptère, loué pour l’occasion à une entreprise privée, n’était pas illégal puisque la zone ne faisait pas l’objet de restrictions de sécurité, selon le quotidien italien La Stampa.