« Homard m’a tuer ». Les dessinateurs de presse et les journaux satiriques ont bien sûr sauté sur l’occasion pour mettre cette expression à la sauce de Rugy, sur fonds de repas et décors fastueux, sous les ors d’une République généreuse qui met quelques palais à la disposition des élus les plus haut placés dans l’ordre protocolaire. Alors forcément, ils prennent quelques habitudes, jusqu’à adopter celles de l’aristocratie d’ancien régime. Manque plus que les laquais en perruque.
François de Rugy, ex-président de l’Assemblée nationale et député de Loire-Atlantique, n’est pas le premier à se laisser griser par les lieux. Mais il a, semble-t-il, oublié que depuis quelques années, les mœurs politiques ont été radicalement réformées et qu’il faut, au surplus, se méfier des réseaux sociaux qui ont vite fait de vous prendre les doigts dans le pot de confiture. Surtout si vous y contribuez en mettant vous même quelques clichés sur internet.
Et voilà les homards associés aux grands crus et soudainement élevés au rang des symboles du luxe dispendieux aux frais du contribuable. Mais au fait, les homards méritent-ils vraiment d’être ainsi catalogués dans le bling-bling gastronomique, au même niveau que la louche de caviar et les truffes du Périgord ? Toute la presse a embrayé sur ce refrain… Et pourtant, penchons-nous sur les étiquettes. Exemple, samedi, sur le marché de Crozon (Finistère). Le gros homard vivant de belle taille est à 29€90 et le petit à 22€50. Juste à côté, la grosse langoustine en provenance du Guilvinec est à 34€50. Non, non, pas d’erreur : la langoustine est plus chère que le homard ! Certes, on est entré en haute saison mais imagine-t-on Médiapart titrer « Chez de Rugy, des repas fastueux avec des langoustines » . Ca ferait rigoler la France entière. Et pourtant, ce serait arithmétiquement plus justifié puisque le homard est actuellement moins cher, sur le marché, que la grosse langoustine ou même certains poissons comme le turbot.
Et puis, faisons un petit calcul. Pour un homard à l’armoricaine, il faut compter cinq kilos maximum pour dix personnes. Soit 150 euros au tarif crozonnais (5 x 29,90). Si on divise par dix convives, ça fait 15 euros par personne. Le prix d’une andouillette dans un petit resto. D’ailleurs, si ça se trouve, de Rugy a peut-être demandé à son chef de lui faire de belles langoustines, ce jour-là. Mais dans un souci d’économie, le Curnonsky du palais lui a peut-être répondu : « Non président, elles sont trop chères. On va plutôt faire du homard ». Et pan, scandale dans la presse !
L’ennui, avec cette histoire, c’est que le poissonnier de Crozon, samedi, ne réussissait pas à vendre un homard. Ses deux caisses étaient pourtant bien pleines mais personne ou presque ne venait voir le prix. 29€50, ce n’est quand même pas le bout du monde pour fêter le 14 juillet, surtout quand beaucoup se ruent sur les langoustines. Mais avec tout ce qui a circulé depuis quelques jours, ces homards vivants semblaient bien partis pour bénéficier du sursis puisque personne ne s’y intéressait, à part pour lancer « De Rugy » en passant devant eux.
Face à ce qui ressemble à un boycott subliminal, nos poissonniers bretons vont-ils se retrouver dans la mouise avec leur stock d’invendus et lancer à leur tour « Homard m’a tuer » ? Pour les soutenir, il faut lancer au plus vite une association du défense du homard breton pour qu’on cesse d’assimiler ce noble animal à un produit de luxe réservé à ceux qui avalent du caviar à la louche. Et puisqu’on est en Bretagne, cette association de défense, on va bien sur la baptiser « Homard ma Doué ! ».
A la criée du Guilvinec, la langoustine taille 1 était à 31,94€ le kg, taille 2 à 19,86 et taille 4 à 11,71. Le même jour à la criée de Brest, le homard était à 18,76 € le kg