Le même jour, dans ma boîte aux lettres, j’ai trouvé la brochure des Témoins de Jéhovah et le nouveau livre de Laurent Dandrieu. Les premiers m’expliquent que « la vénération des images est une pratique religieuse qui n’a aucun fondement biblique. C’est pourquoi les Témoins de Jéhovah ne vénèrent pas d’images et ils n’ont aucune image religieuse ni chez eux, ni dans leurs lieux de culte ». Le second me dit que « telle est la gloire de Fra Angelico : d’être le peintre qui, pour le plaisir de nos yeux et surtout le bonheur de nos âmes, aura entrouvert le ciel pour nous le faire voir ». En quelques mots, deux conceptions du monde très différentes s’expriment.
On sait peu de choses sur la vie de Fra Angelico, du moins pour la boulimie biographique moderne qui aime plus enregistrer que comprendre. Giorgio Vasari a été le premier biographe du peintre ; des documents d’archives complètent son texte. Certains esprits critiques modernes prétendent faire mieux : ainsi Fra Angelico ne serait pas né en 1387, mais vers 1395, voire 1400. Avec une idée derrière la tête : « Le but quasiment avoué de ce décalage étant d’arracher le peintre à l’influence du gothique international pour mieux le faire basculer du côté des modernes », écrit Laurent Dandrieu. A ce compte-là, certains n’hésitent devant aucune aberration : les commissaires de la récente exposition Jacquemart-André, par exemple, « qui lui donnent la paternité de Funérailles de saint Augustin, peintes en 1411, soit à une date où selon eux le peintre aurait eu onze ans… ».
Onze ans, c’est plutôt l’âge où un enfant pouvait entrer en apprentissage. Le jeune Guido de Pietro travailla sans doute dans l’atelier de Lorenzo Monaco, peintre et moine bénédictin camaldule à Florence. Il sera peintre et moine comme son maître, mais dominicain. On suit Fra Giovanni dans les monastères, là où l’entraîne la crise des papes et antipapes, là où l’emmènent les commandes artistiques ou la vie de sa communauté : à Fiesole, à Foligno, à Cortone, à Florence ; à Fiesole encore, de nouveau à Florence ; à Rome, à Orvieto…
Le récit n’est pas uniquement biographique, ni hagiographique, même si Fra Angelico a été béatifié par Jean-Paul II en 1982 et fait patron universel des artistes deux ans plus tard. Il est aussi un essai de comprendre la spécificité de son art, lumineux et si empli d’anges qu’il lui a donné son surnom. Pour Fra Angelico comme pour saint Augustin, la Cité de Dieu, c’est ici et maintenant, anges et hommes mêlés. Que Fra Angelico ait vécu en compagnie des anges, son œuvre ne permet pas d’en douter ; et que ceux-ci aient monté son âme enfantine vers le Christ en la portant respectueusement dans un linge, on n’en doute pas non plus, même si aucun de ses confrères ne représenta cette sainte vision.
• Laurent Dandrieu, La compagnie des anges – Petite vie de Fra Angelico. Editions du Cerf, 100 pages, 9 euros.
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