Avant d’être auditionné par un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, Alexandre Langlois, policier, du syndicat VIGI, détaille sans langue de bois au micro de Boulevard Voltaire les dessous de la police de sécurité du quotidien voulue par Emmanuel Macron. Un entretien percutant à diffuser largement.
Nous sommes pont de la Concorde devant l’Assemblée nationale. Qu’allez-vous faire à l’Assemblée nationale ?
Je suis auditionné avec un autre syndicat de police au sujet de la police de sécurité du quotidien ainsi que la réforme pénale. Ce sont deux mesures qui sont en place ou qui vont bientôt l’être.
Vous allez être questionné par un groupe parlementaire notamment sur la police du quotidien. Cette mesure vous satisfait-elle ?
Nous avions beaucoup d’attentes sur cette police de sécurité du quotidien. Mais le résultat est catastrophique. En effet, il y aura beaucoup de communication, mais très peu de résultats.
Je vais prendre plusieurs exemples.
Nous sommes évidemment pour les renforts dans les quartiers. On comptera 20 à 30 policiers en renfort, ce qui fait 2 ou 3 à l’instant T sur le terrain. C’est très peu.
La deuxième chose prévue est d’envoyer des policiers aux sorties d’écoles dans les quartiers les plus difficiles. C’est un peu comme dans l’Éducation nationale, on envoie les personnes les moins bien formées dans les zones qui demandent le plus d’expérience. Cela va écœurer les gens. Il va y avoir des dérapages, car les gens ne sont pas formés en adéquation avec leur quotidien.
Le troisième exemple est le changement de logo. Il y avait les UTEC en 2008, la BST de monsieur Hortefeux en 2010. À chaque fois, les effectifs sont gonflés au moment de la mesure. La BST était passée de 13 à 25 à Marseille dans les quartiers Nord. Maintenant, ils ne sont plus que 12.
Nous allons donc gonfler les effectifs de la police de sécurité du quotidien les deux prochaines années et ensuite, il n’y aura pas de suite. Les politiques auront fait leur beurre sur notre dos.
Les gens vont être désespérés et ils n’auront qu’une envie, demander leur mutation pour ne pas rester dans ces quartiers-là.
Seuls 60 quartiers au total sont concernés. La reconquête républicaine doit être totale. Elle ne doit pas se limiter à des quartiers. Avec ce système, nous voyons des aberrations. Si la rue d’à côté appartient au quartier d’à côté, on ne pourra pas intervenir avec des policiers de sécurité du quotidien. La sécurité des Français est un problème global. La police doit donc intervenir de façon globale et non pas quartier par quartier.
Nous avons l’impression que le gouvernement va dire : « Regardez, nous avons été bons dans nos 30 quartiers. » En réalité, on veut s’auto-évaluer, ce qui permet de fermer les yeux sur la situation dans tous les autres quartiers.
De même, nous demandons de la concertation. Il y a des villes dans lesquelles je travaille, comme celle de Trappes dans les Yvelines, où on leur a imposé la police de sécurité du quotidien. Le maire de Trappes ne voulait pas signer un chèque en blanc. Il disait : « Je veux bien qu’on me dise ce qu’il y a et ce qu’on va faire, mais je ne signe pas et vous me direz après ce que vous allez mettre. »
La concertation atteint ses limites si on contredit le pouvoir en place.
En d’autres termes, il y a une espèce de guerre de la communication. Est-ce que la police est selon vous une variable d’ajustement dans une stratégie de communication nationale ?
Depuis le début du mandat de monsieur Macron, nous sommes très clairement dans une stratégie de communication. Nous l’avons vécu à plusieurs reprises.
Lorsqu’il a fait son discours aux forces de la sécurité intérieure au mois d’octobre, il avait dit : « J’ai mis en place un plan antiterroriste, il fonctionne à Trappes et je vais l’étendre à toute la France. » En fait, il n’y avait rien.
Je travaille dans ce département et qui plus est, dans le renseignement. C’était juste un quiproquo entre l’équipe du préfet et celle du Président. Il n’y a aucune vérification.
Ce dont des effets d’annonce. Il y a un effet mille-feuille avec sans cesse de nouvelles directions, mais derrière, il n’y a pas plus de gens qui bossent sur le terrain.
On nous a dit que nous ne serions plus gérés par des statistiques, mais par des indicateurs. C’est une catastrophe. On aimerait rappeler que si l’État nous paie, notre employeur, c’est le peuple.
À l’heure actuelle, on nous demande de faire de la communication pour les politiques et pas d’être au service du peuple. Ce qui s’est récemment passé à Marseille l’a bien montré. Nous avons d’ailleurs déposé plainte pour le trucage des statistiques. Les statistiques à Marseille baissent depuis des années, alors que la violence n’a jamais été aussi haute, les trafics de drogue n’ont jamais été aussi importants et la police n’a jamais été aussi démunie. Nous voudrions que la réalité soit celle que nous vivons tous les jours et pas non celle qui est fantasmée dans des bureaux politiques.
Votre syndicat s’est élevé contre une modification d’une loi sur le renseignement. Vous reprochez la menace de restriction des libertés individuelles. Cette attitude n’est pas commune pour un syndicat de policiers.
Une de nos missions fondamentales est de veiller à la liberté individuelle de chacun. Nous devons assurer la sécurité de tout le monde pour que chacun puisse exprimer son opinion et discuter librement, et de mettre à l’écart des gens qui ne veulent pas respecter les règles de la démocratie. Malheureusement, plusieurs étapes vont dans le mauvais sens.
En 2014, monsieur Valls a passé un nouveau code de déontologie qui a supprimé la défense des libertés individuelles de nos missions. Avant, nous devions veiller aux institutions de la République, maintenant nous devons veiller aux institutions et aux intérêts de la nation. Tout ce qui rappelle le service du peuple est supprimé au fur et à mesure de nos missions. La dernière loi sur renseignement et toutes les lois liberticides qui ont précédé peuvent être complètement détournées de leur sens.
À l’heure actuelle, il y a un droit d’embastillage comme sous Louis XIV avec les lettres de cachet. C’est à vous de prouver que vous êtes innocent. On peut vous accuser de radicalisation et c’est à vous de dire que vous n’êtes pas radicalisé. C’est arrivé à un enseignant dont j’ai eu à connaître le cas dans une commission. On l’a soupçonné de radicalisation et on l’a radié. Il a répondu qu’il n’avait rien fait. On lui a répondu : « Vous êtes camouflé. Prouvez-nous que vous n’avez pas acheté un ordinateur en liquide. Votre femme travaille à l’œcuménisme dans les prisons pour la déradicalisation, c’est une couverture ». Tout est retourné contre la personne. Ils sont en train de mettre en place la même chose dans la police pour supprimer les gens qui dérangent. Nous aurons donc une police aux ordres.
Nous avions fait des propositions concrètes, car nous pensons qu’il y a une adéquation entre protéger la population et certaines mesures qui nécessitent une limitation des libertés.
Mais là, nous voyons bien que les libertés ont été supprimées par tout le monde sans aucun contrôle. Les politiques ne sont pas fous, ils ont supprimé les visites administratives chez eux. Le terme « perquisition » a été supprimé. Nous l’aimions bien, car il avait un sens fort. Maintenant, nous parlons de « visite ». C’est un terme très adouci, pourtant le moment est vécu de façon très forte par ceux qui le subissent, mais sans que nous ayons le moyen de pression avant. Les gens ne se rendent plus compte de ce que nous pouvons faire.
Les libertés sont très importantes. Dans la police, nous devons avoir un casier judiciaire vierge et les députés, eux, ont refusé d’avoir un casier judiciaire vierge pour pouvoir siéger.
Rappelons que dans la dernière mandature, un député avait un bracelet électronique pour venir. Il y a deux poids, deux mesures.
Lorsqu’on fait notre travail au quotidien, les gens nous disent : « Comment pouvez-vous travailler pour des personnes qui ne respectent pas la loi et qui ont même institutionnalisé cet état de fait. Nous trouvons toutes ces mesures très graves. »
Hier c’était l’appel du 18 juin. Une fois de plus, monsieur Macron a fait de la communication sur cet événement. Toutes les mesures qu’il prend notamment pour la Police nationale vont dans le sens inverse du discours du Général de Gaulle le 18 juin 1940.
Nous aimerions avoir du concret pour protéger la population réellement. Nous aimerions aussi qu’ils arrêtent de faire de la com’ car cela est très dangereux. Les gens peuvent se croire en sécurité, ce qui n’est pas le cas. Des délinquants peuvent se croire en toute impunité, ce qui peut les inciter à faire encore plus que ce qu’ils feraient normalement. Des gens se revendiquant de Daesh peuvent commettre des attentats, considérant que, de toute façon, la France dysfonctionne dans tous les sens.
Le président l’a d’ailleurs reconnu en disant qu’il fallait plutôt qu’on s’habitue à vivre avec le risque terroriste plutôt que de lutter contre définitivement.
Tout cela génère un certain écœurement, mais il nous reste une volonté de nous battre pour tous.