Personne n’ignore que le camembert a été popularisé par Napoléon III, à l’occasion de l’inauguration de la ligne de chemin de fer Paris-Granville, en 1855. On sait aussi qu’il était bleuté à l’origine, un peu comme le roquefort, mais que sa croûte blanche ne s’est imposée que plus tard, en 1900, grâce au penicillium album. Quant à sa boîte en bois de peuplier, elle date de la guerre de 14, les poilus normands transportant cette délicieuse puanteur dans ce type d’emballage.
Ce que l’on sait moins, c’est que le camembert a été inventé par un prêtre réfractaire, contre-révolutionnaire, du nom de Jean Bonvoust. En octobre 1791, il s’était enfui de Rouville, en pays cauchois, pour échapper à la guillotine, et avait trouvé refuge à la ferme de Beaumancel, à Camembert. Pour remercier ses hôtes, qui avaient risqué leur vie en le cachant, le curé Bonvoust va communiquer à la fermière, Marie Harel, une recette consistant à laisser sécher le fromage de vache dans sa faisselle, puis à le démouler, à le saler, à l’exposer dan une pièce bien aérée, jusqu’à ce qu’une croûte et une moisissure se forment. C’est cette croûte qui assure au camembert la possibilité de se conserver longtemps.
Tout cela est raconté notamment dans La Fabuleuse Histoire du camembert, une sympathique bande dessinée éditée par les camemberts Lepetit (un camembert de Normandie reconnaissable entre tous, avec sa vache sur fond rouge), un album publié à 30 000 exemplaires en 1991. Mais il existe d’autres histoires du camembert, car c’est une belle histoire, comme celle de Parmentier et de la pomme de terre et quelques autres.
Une robe blanche et marron
Depuis le 1er mai 2017, pour bénéficier de l’Appellation d’origine protégée (AOP) « camembert de Normandie », les fromages doivent être produits à partir de lait de vaches normandes, à la robe blanche et marron, des vaches considérées comme plus rustiques, qu’on laisse pâturer plus longtemps, qui produisent moins de lait que d’autres races, mais un lait considéré comme plus riche. 50 % au moins du lait doit provenir de ces vaches-là, pour obtenir le label convoité. Actuellement, sur les cent mille tonnes de camembert fabriqués en Normandie, 5 % seulement bénéficient de ce label, de cette AOP : « camembert de Normandie ».
Vous saisissez la différence ? Elle n’est pas négligeable. Le camembert « fabriqué en Normandie » peut être fait à partir de lait en provenance de n’importe quelle partie du monde, et en tout cas dans des usines fabriquant des camemberts avec du lait composite de diverses sources, françaises ou étrangères.
Le « camembert de Normandie », lui, doit être fait à partir d’un lait de vaches normandes pour l’essentiel.
On voit ce que couvre cette question de vocabulaire. Dans un camembert, doit-on privilégier la technique de fabrication ou l’origine des produits qui le composent ? La même question peut se poser pour le champagne, et bien d’autres produits dont le nom du site d’origine est devenu un nom commun.
Une mini-bataille fait actuellement rage entre adeptes du lieu de fabrication (camembert « fabriqué en Normandie ») et partisans du lieu d’origine des produits AOP « Camembert de Normandie ».
L’enjeu va bien au-delà de la sémantique. C’est l’économie d’une région qui est en cause. Et le débat n’est pas si simple à trancher, mais les échéances arrivent à leur terme.
Le plus terrible serait que tout cela aboutisse à une grève des producteurs de camembert, avec les conséquences que l’on imagine pour les boulangers, les cavistes et les fabricants de bérets.
En dernière analyse, faut-il être « coulant » avec le camembert ? C’est une question de goût, au fond.