Bari est une ville où l’on rencontre des masses de Russes. Ce sont des pèlerins orthodoxes, car les églises orientales, que ce soient les orthodoxes ou les catholiques de rite grec, ont une grande dévotion pour saint Nicolas, dont les reliques sont dans la basilique de Bari. Sur la place devant la basilique, cette grande statue du saint est accompagnée d’une plaque en cuivre apposée en 2003 et signée du président de la fédération russe (c’est-à-dire Vladimir Poutine à cette époque), adressée en italien et en russe aux “Chers citoyens de Bari“, auxquels il s’adresse en ces termes : “Je suis heureux de la possibilité de saluer cordialement les habitants de l’antique cité italienne de Bari. Il m’est particulièrement agréable de le faire dans la mesure où votre terre et la Russie sont unies par les liens d’une histoire pluriséculaire. En cadeau à votre cité, qui garde ce grand et sacré trésor que sont les reliques de saint Nicolas, archevêque de Myra en Lycie, voici une statue de ce thaumaturge. / Le saint évêque Nicolas est l’un des saints les plus vénérés. Mais surtout en Russie il jouit d’une vénération spéciale. À saint Nicolas sont dédiés les autels de beaucoup d’églises russes. / Puisse ce don être le témoignage non seulement de la vénération du grand saint de la part des Russes, mais aussi de la constante aspiration des peuples de nos pays à la consolidation de l’amitié et de la coopération”. Ces mots sous la plume d’un colonel du KGB soviétique qui a combattu toute pratique religieuse avec l’énergie qu’on lui connaît sont particulièrement savoureux. Mais il est vrai qu’en vingt ans bien de l’eau a coulé sous les ponts de la Moskova et de la Néva.
La basilique Saint Nicolas, seule, a échappé à la fureur destructrice de Guillaume le Mauvais, alors que ni le château, ni même la cathédrale n’avaient été épargnés. Bari avait été le siège du gouverneur romain, celui du gastald lombard qui régnait sur le sud de l’Italie, de l’émir sarrasin de 841 à 871, puis du catépan byzantin de 876 à 1071, et même intronisée capitale de l’Italie du sud à partir de 970. Et voilà qu’en 1071 Robert Guiscard dont la capitale est à Salerne conquiert Bari, la réduisant de ce fait au simple statut d’un chef-lieu de province, avec les pertes économiques que cela implique. C’est pourquoi, pensant attirer la foule des pèlerins vers les reliques de ce saint très vénéré et ainsi générer d’abondantes recettes pour sa ville, l’évêque a volé en 1087 les précieuses reliques destinées à Rome comme je l’ai raconté dans mon article au sujet de la cathédrale pour l’effigie de la Madone. Les deux histoires sont absolument parallèles, l’iconostase pour les premiers, le crainte des Musulmans après leur conquête dans le second cas, les moines basiliens, les marins, la rumeur en ville, le vol par l’évêque. Si l’une des histoires n’est pas légendaire (car après tout tout cela est assez vraisemblable, sans apparition, sans mystère), c’est très probablement celle de saint Nicolas car le vol a dans ces circonstances une signification économique. L’évêque, donc, voulait placer les reliques dans sa cathédrale, mais le peuple voulait absolument un lieu nouveau réservé au grand saint. Sous la pression populaire, devant l’agitation et craignant une émeute, l’évêque décida alors de transformer le palais du catépan inoccupé depuis le départ des Byzantins et délaissé par le Normand résidant à Salerne, et pour cela il chargea l’abbé Élie d’élaborer des plans et de conduire les travaux. À noter que dans les premiers temps de l’Église, et selon une tradition qui s’est longtemps perpétuée en Italie, l’évêque est l’administrateur d’une paroisse ou d’un groupe de paroisses dans une ville, et non pas comme aujourd’hui d’un diocèse. Cela explique que dans les inscriptions de cette basilique, il soit fait référence à l’évêque Élie. Cela explique aussi que dans de nombreuses petites villes voisines les unes des autres il y ait des cathédrales alors qu’en France il y a une cathédrale par diocèse et en général un diocèse par département, voire par deux départements (par exemple, Cher et Indre).
D’après un parchemin, il semble que l’essentiel de l’édifice ait été achevé en 1103, avant la mort d’Élie en 1105, et que son successeur, l’abbé Eustathe (1105-1123) n’ait eu à réaliser que la décoration et les sculptures.