Le chevalier des Touches de Jules Barbey d’Aurevilly

 

Par Alain Sanders**

Jules Barbey d’Aurevilly parle pour la première fois de son Chevalier des Touches dans une lettre adressée à l’un de ses amis en décembre 1849. Depuis trois ans, Barbey est engagé politiquement : au service de l’art et de la doctrine catholique et d’idées politiques monarchistes. Et il développe le projet de réunir – sous le titre générique Ouest – une série de romans à la fois ‘normands’ et ‘chouans’.

L’histoire du Chevalier des Touches, Barbey la connait depuis son enfance. Et il a toujours su qu’il l’écrirait un jour. Il en parle en 1849 mais il ne commencera à rédiger son roman qu’à partir de 1853 ou 1854. Il dit, dans une lettre datée de 1855 : “je n’écris pas vite ce roman dans lequel je veux ployer ma diable de nature rebelle à certaines choses pour lesquelles elle n’a pas d’instinct”.

Terminé en 2856, Le Chevalier des Touches sera publié, d’abords en feuilleton dans Le Nain jaune (du 18 Juillet au 2 Septembre 1863), puis en volume en 1864.

Jacques Destouches – devenu le chevalier des Touches sous la plume de Barbey – a réellement existé. En 1856, d’ailleurs, il rendra visite à Destouches qui survivait depuis trente ans à l’hôpital du Bon-Sauveur à Caen. Jacques Destouches de la Fresnaye avait été arête par les Bleus le 4 Juillet 1798, dans une maison de Granville. Enfermé dans la prison d’Avranches, il sera une première fois – mais en vain – secouru par ses amis qui tenteront de l’arracher à ses geôliers. La seconde tentative, le 8 Février 1799, sera la bonne*.

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Sur cette trame, Barbey bâtira son roman. En y ajoutant toute la verve de son imagination débordante. Destouches, héros local, devient ainsi le chevalier des Touches, héros national, figure emblématique de la chouannerie normande, personnage d’épopée. Son but est clair : des héros de chouannerie, il n’a pas l’intention de faire un “daguerréotype” comme il dit. Et, plus que de faits historiques un peu secs, il a besoin de témoignages pittoresques:

–    Il y a bien mieux que les livres, ce sont les récits, les traditions domestiques, les choses qu’on se raconte de génération en génération, les commérages, tout ce qui peut bien ne pas avoir l’exactitude bête du fait brut, mais qui a la grande vérité humaine d’imagination, le sentiment de la réalité de moeurs et d’histoire.. j’aime mieux l’expression brûlante d’un contemporain que le detail glacé et matériellement exact d’un faiseur de procès-verbaux historiques.

–      Et encore:

–      Il y a mieux que la réalité, c’est l’idéalité qui n’est, au bout du compte, que la réalité supérieure, la moelle des faits plus que les faits eux-mêmes, le mouvement de la vie plus que les lignes de la vie, la physionomie plutôt que les faits.

–      Du roman de Barbey, Anatole France a écrit :” Le hasard me fit le lire dans cette petite ville de Valogne qui y est décrite. J’en reçus une impression très forte. Je crus y voir renaître cette ville rétrécie et morte. Je vis les figures à la fois héroïques et brutales des hobereaux repeupler ces hôtels noirs, silencieux, aux toits affaiblis que la moisissure dévore lentement. Je crus entendre siffler les balles des brigands parmi les plaintes du vent. Ce livre me donna le frisson.”

–   Il nous apporte à nous l’écho des combattants de l’honneur et de la fidélité. Une histoire de la chouannerie d’après la chouannerie. Quand les derniers survivants d’une formidable épopée se battent seuls ou presque, ne jouissant presque plus – et parfois plus du tout – de l’aide des paysans qui, des années durant, avaient été les soutiens actifs des guérilleros royalistes. Et Jules Vallès, qui n’était pas – tant s’en faut – de la même chapelle que Barbey, ne s’y est pas trompé qui écrit :”Tous ceux qui ont l’âme guerrière, et ils sont nombreux dans ce pays tout chaud encore des révolutions mal éteintes, tous ceux qui ont rêvé d’aventures glorieuses, vie pénible, mort héroïque, amours mystérieuses, frémirent en lisant ce livre. M. Barbey d’Aurevilly était là dans son élément, sa crânerie d’ailleurs lui va bien dans ce clan de soldats! Il a comme Junot, séché son encre avec la poudre de la terre où il est né, et qu’ont déchirée, pour y enterrer les morts, la fourche du chouan et la baïonnette du républicain.”

En 1966, Claude-Jean Bonnardot a réalisé un téléfilm inspiré du roman de Barbey d’Aurevilly.

  • Après avoir été sorti de prison par les chouans, Destouches poursuivra ses activités de résistant. On le retrouve en 1826, errant fou dans les rues de Caen. Interné il meurt en 1858.

** Cinquante livres (et plus) que vos enfants doivent avoir lus, Alain Sanders, édition Godefroy de Bouillon

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