Pour son crû 2017, Le petit Larousse accueille, entre autres, l’exotique terme dégun, pronom indéfini de cinq lettres. Mot occitan, altération de l’ancien occitan negun, du latin nec unus « pas un ». Ce mot surtout marseillais et quelques peu vulgaire n’est en fait pas très usité même à Phocée, excepté par certains avec l’expression « il craint dégun » signifiant, il a peur de personne. Bref, vous l’aurez compris,ce n’est pas un crû d’exception et pire encore… (NDLR)
♦ La nouvelle édition du Petit Larousse 2017 paraîtra le 26 mai. Son innovation réside dans l’ajout de 50 nouveaux mots plutôt exotiques. La nouvelle n’a pas fait grand bruit. Pourtant, le dictionnaire est un outil qui officialise les usages d’une langue, et par conséquent tout ce qui s’y rattache, de la culture à la pensée.
Un peu d’histoire pour comprendre la création du dictionnaire
Au début du XVIIe siècle, en raison du nombre de termes empruntés au Latin, Malherbe entreprend de fixer les normes de notre langue avec la création d’une Grammaire, d’une Rhétorique et d’une Poétique. L’Académie française, fondée en 1635, continue ses travaux. Très vite, une description systématique devient nécessaire pour préciser le bon usage des mots : le dictionnaire unilingue, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est alors inventé.
La composition de l’ouvrage exigea quarante-trois ans de travail, sous la direction de Richelieu puis de Colbert. Entretemps, parce qu’ils étaient interdits en France, les dictionnaires de Richelet (1680), qui codifiait les procédés de marquage de style (« plaisant », « burlesque » ou « simple ») et celui de La Furetière (1690), qui encensait le discours « noble et brillant » tenu à la cour de Louis XIV, furent publiés à l’étranger. L’Académie Française présenta son premier dictionnaire officiel en 1694.
« L’Eloquence contribue beaucoup à la gloire d’une Nation »
Dans cette édition, les mots n’étaient pas classés par ordre alphabétique, mais en fonction de leur racine étymologique, pour mettre en exergue l’histoire de la langue. La préface décrit fièrement le processus. Le ministre de Louis XIV pensait que « l’Eloquence contribue beaucoup à la gloire d’une Nation ». Comme le Latin, la Langue Française est « arrivée à un degré d’excellence où l’on ne pouvoit rien adjouster ». Destinée au peuple des lettrés aussi bien qu’aux étrangers, sa vocation est d’ « expliquer la Nature & la Proprieté des mots dont nous nous servons pour exprimer nos pensées ». Avec délicatesse, il précise que les « termes d’emportement ou qui blessent la Pudeur, on ne les a point admis dans le Dictionnaire, parce que les honestes gens évitent de les employer dans leurs discours ». Voilà, en quelques lignes, tout l’esprit du Grand Siècle.
Garant de son intégrité, le Dictionnaire se trouve investi d’une responsabilité morale dans sa représentation du français. Rendant compte des usages linguistiques, il constitue le meilleur outil pour dater ses changements. Au fil des évolutions techniques, de nombreuses rééditions verront le jour. Un « supplément de mots révolutionnaires » sera même ajouté à l’An VII. Cependant, loin de rester neutre, chaque dictionnaire porte en lui tout un contenu idéologique. Par le choix des termes retenus et leurs définitions, il fabrique déjà ses propres stéréotypes. Certains se voudront encyclopédiques comme Le Dictionnaire Complet Illustré de 1889 qui préfigure la création du Petit Larousse en 1905 par deux républicains anticléricaux ; dès 1841, Le Littré se spécialise dans l’étymologie ; des champs lexicaux modernes font leur entrée dans Le Robert de 1967 qualifié de « dictionnaire de gauche » par un journaliste du Nouvel Observateur.
En 2017, des ajouts quelque peu exotiques…
Ainsi, la nouvelle édition du Petit Larousse 2017, parrainée par l’académicien Jean d’Ormesson, paraîtra le 26 mai. L’innovation consiste en l’ajout de 50 nouveaux mots. Un enrichissement de notre langue ? Pas vraiment. A l’image de la « Novlangue » de l’ANGSOC dans 1984, il semble que le lexique du français moderne se simplifie cruellement. En témoignent les nouveaux exotismes tels que « s’ambiancer », « socialiser » ou « covoiturer » . Ne peut-on donc pas fournir un minimum d’effort pour exprimer ces idées autrement et augmenter l’étendue de son vocabulaire ?
Les anglicismes virtuels se glissent officiellement dans notre langue avec « fanfiction », « troll », « émoticône » ou « flasher ». Remarquons que « selfie », « bolos », ou « beuh », entre autres, prenaient déjà place dans l’édition 2016 du Petit Robert. Ne nous moquons pas ! Nos jeunes pourront aisément rédiger leurs dissertations à partir d’un SMS de rupture, comme l’exige un nouveau manuel de français pour collèges. Quant aux termes « gastronomiques », ne vous y trompez pas, ils ne rendent pas hommage à notre tradition française mais aux spécialités les plus diverses telles que « wrap » et « phô », par exemple. Enfin, notons également l’ajout de l’adjectif « europhobe » et du nom « complotisme », dont la présence traduit implicitement les idées de notre gouvernement sur la question. Les définitions fourniront probablement au citoyen les notions de bien et de mal pour penser conformément aux « valeurs de la République ».
Voilà un bel exemple de « diversité culturelle » au sein même de la langue de Molière. La rupture avec les intentions « puristes » de l’Accadémie Française, durant l’Ancien Régime, est complète. Or, face à un tel phénomène, il convient de s’interroger sérieusement sur le rôle du dictionnaire aujourd’hui. De même que l’on ne vit plus dans une société française mais républicaine, la langue officielle n’aurait-elle pas changé ?
« Nous taillons le langage jusqu’à l’os »… au nom de l’égalité
Placer l’argot, les codes propres aux futilités d’Internet, ou le vocabulaire multiculturel de l’adolescence fêtarde, aux côtés d’un usage courant du français et de mots plus soutenus, reflète bien l’obsession d’égalité républicaine. Pour aplanir toutes les différences, les esprits se retrouvent nivelés par le bas, à l’image de cette grossière culture de masse imposée au nom de la « liberté d’expression et de création », jusqu’au champ de bataille de Verdun. Triste reflet de notre époque, le dictionnaire deviendra bientôt un manuel de « prêt-à-penser », fruit de la culture de masse, indispensable pour s’épargner trop de réflexion. Loin de susciter l’émulation chez les jeunes, il approuve la drastique simplification d’un parler communautaire aux passe-temps vides de substance.
Il est intéressant de lire que Jean d’Ormesson compare ce Petit Larousse à un véritable moteur de recherche apportant toutes les réponses. Sachant que l’ouvrage est idéologiquement orienté, le voilà institué en véritable outil pédagogique pour rééduquer les plus récalcitrants. Nul besoin de chercher par soi-même, de se « prendre la tête », ou pire encore de « se poser trop de questions » sur le sens des termes, il suffit d’apprendre les raccourcis – de même que « Google » vient à notre secours. Dans un monde parallèle, un personnage dénommé Syme, rédacteur d’un dictionnaire de « Novlangue », déclarait fièrement : « Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. La onzième édition ne renfermera pas un seul mot qui puisse vieillir avant l’année 2050. » Quel admirable visionnaire !…
Virginie Vota – Polémia