Cette « Présidente Fillon » oubliée de l’Histoire, nous l’avons retrouvée par hasard lors d’une enquête consacrée au Palais-Royal. La possibilité de nous retrouver d’ici quelques semaines avec une nouvelle présidente Fillon nous conduit à vous narrer l’invraisemblable histoire de cette mère maquerelle, la plus réputée à l’époque de la Régence (1715-1723), ayant déjoué un complot espagnol destiné à s’emparer de la régence de la France.
La Fillon, comme on disait à l’époque (son prénom ne nous est pas parvenu), naît dans la capitale, fille d’un porteur de chaise parisien. D’une grande beauté, elle tombe enceinte à 15 ans d’un inconnu. Après l’avoir fait accoucher et abandonner son nourrisson, son père désire la marier à un porteur d’eau. Mais elle refuse un sort aussi médiocre. Elle s’enfuit donc avec le clerc d’un procureur de Bretagne, qui l’embarque à Rennes, où il l’abandonne rapidement. La jeune délurée n’a aucun mal à séduire un commis bien fait de sa personne, qu’elle convainc d’abandonner femme et enfants pour la ramener à Paris.
Faune licencieuse
De retour dans la capitale, la Fillon se fait putain au Palais-Royal pour mettre du beurre dans ses épinards. C’était cela ou devenir domestique. À cette époque, le jardin du Palais-Royal, bien plus vaste et boisé qu’aujourd’hui, accueillait chaque nuit une faune licencieuse. L’amour pécuniaire se pratique dans les fourrés. Ayant trouvé sa vocation, et bien loin d’employer ses charmes fictivement, la Fillon s’élève rapidement dans la hiérarchie des prostituées. La voilà vite devenue « marcheuse », terme désignant une putain déambulant coquettement dans les allées du jardin. Ses clients comptent parmi la jeunesse aristocratique de son époque. Elle s’improvise entremetteuse. Son succès la fait remarquer du lieutenant général de police Voyer d’Argenson, qui lui propose sa protection en échange d’informations arrachées sur l’oreiller.
Ses talents la font monter jusqu’au lit du régent Philippe d’Orléans, lequel était un des hommes les plus débauchés de son temps. Les anecdotes salaces abondent à son sujet. En compagnie de ses roués (c’est-à-dire méritant le supplice de la roue pour leurs turpitudes), il se livrait à de véritables orgies. La Fillon fournissait les filles. Durant un an, le régent en fut fou, au point de faire construire dans le jardin de Saint-Cloud une grotte pour qu’elle y reposât nue, éclairée par un rayon de soleil. Il pouvait contempler toutes les perfections de cette pécheresse durant des heures. Un jour, celle-ci poussa l’audace jusqu’à demander au régent l’abbaye de Montmartre afin d’en devenir l’abbesse et d’en percevoir les revenus.
Scandaleuse espionne
L’heure de gloire de la Fillon lui vient avec la découverte d’un complot ourdi par le duc du Maine et l’Espagne pour remplacer le régent par Philippe V d’Espagne (petit-fils de Louis XIV). Ce jour-là, une employée du bordel de la Fillon attend longtemps un de ses clients, un secrétaire nommé Porto-Carrero. Celui-ci finit par se présenter, justifiant son retard par une surcharge de travail donnée par son maître, l’ambassadeur d’Espagne, Cellamare Antoine del Guidice. Ce dernier lui avait demandé de rédiger de nombreuses dépêches de la plus haute importance à destination de l’Espagne. Entendant cela, La Fillon court en avertir le cardinal Dubois, qui exerce le pouvoir au nom du régent, et lui-même grand débauché. Le courrier ayant emporté les lettres dictées par l’ambassadeur est arrêté quelques jours plus tard à Poitiers. Les dépêches révèlent le complot, les coupables sont punis et la Fillon est fortement récompensée. Le scandale est si grand que le régent préfère écarter sa scandaleuse espionne de Paris. Celle-ci se retire en Auvergne pour y épouser un comte et retomber dans l’anonymat de l’Histoire.
Encore un mot pour expliquer ce qui lui valut son surnom de Présidente Fillon. Un beau jour débarque à Paris un magistrat d’Alençon, nommé le président Fillon, accompagné de sa jeune et jolie épouse. La présidente Baillet (mariée à un magistrat parisien) décide de venir saluer son homologue provinciale. Seulement, elle se trompe d’adresse, se présentant à l’hôtel abritant le commerce impur de la Fillon. Le quiproquo dure de longues minutes avant que la présidente Baillet ne se retire, cramoisie de honte, en comprenant enfin qui est son hôtesse. La Fillon ne se prive pas de raconter l’anecdote dans tout Paris, ce qui lui vaut le sobriquet de la Présidente Fillon.