Converser avec un survivant virtuel de la Shoah!

Alors même que la lutte pour le devoir de mémoire de la Shoah s’intensifie, les scientifiques sont également appelés en renfort. Un nombre croissant d’organisations commémorant la Shoah se tournent maintenant vers les technologies de pointe, espérant que celles-ci puissent mieux répondre à la question fondamentale : comment éduquer les générations futures sur les crimes nazis ?

“Nous sommes confrontés à une crise de la mémoire”, prévient le professeur Paul Verschure, co-fondateur de la fondation Future Memory, qui aborde ce problème.

(…) Et le fait que les scientifiques n’aient pas été impliqués jusqu’à présent dans les efforts de commémoration pourrait être en partie la cause. “Quand nous voulons enseigner à quelqu’un au sujet d’un site historique”, note Verschure, “nous pensons d’abord à ce que nous savons à propos de l’étude, à propos de la mémoire. Nous utilisons la science pour prédire ce qui pourrait fonctionner, puis en mesurer l’efficacité. Il est temps que les gens dans ce domaine commencent à prêter attention à la psychologie fondamentale et aux neurosciences”.

C’est ce qu’à déjà entrepris Verschure, en recréant une visualisation du camp de concentration détruit de Bergen-Belsen grâce à la géo-localisation, au virtuel et à la réalité augmentée. Les visiteurs du site commémoratif d’Allemagne du Nord se voient proposer une tablette qui, après avoir été pointée sur un champ vide, leur indique où se trouvaient autrefois les différentes structures.

L’application a été développée par le laboratoire de recherche de Verschure, Synthetic Perceptive, Emotive and Cognitive Systems (SPECS) à Barcelone, en collaboration avec le site commémoratif de Bergen-Belsen. La reconstruction a été basée sur des entretiens avec des survivants, sur des photos aériennes prises par la Royal Air Force en 1944, ainsi que sur des photos du camp lors de sa libération en 1945.

Pour Verschure, dont le grand-père était un membre de la résistance néerlandaise assassiné dans ce camp, ce fut une question personnelle. “Quand je me suis rendu pour la première fois sur le camp en 2005” explique t-il, “j’ai trouvé douloureux, presque insultant, qu’il n’y ait rien qui m’aide à commémorer l’Histoire, juste un beau parc”.

“Beaucoup de gens ont vécu cette expérience”, admet l’historienne Stephanie Billib, coordinatrice du projet Bergen-Belsen. Le personnel s’efforce d’expliquer que toutes les structures de camp ont été brûlées par les forces britanniques après la libération “mais la première impression des visiteurs est souvent la déception”.

Pour Verschure, il était cependant clair que la réalité virtuelle pourrait être la réponse. “Cela peut être la passerelle entre l’expérience et le souvenir, marcher dans l’espace où se sont produites les sources historiques intégrées dans un espace virtuel : des fragments de journaux intimes, des images, des interviews vidéo et d’autres documents retrouvés parmi les bâtiments reconstruits du camp”.

Aujourd’hui, 22 tablettes sont disponibles pour les visiteurs de Bergen-Belsen, dont la plupart sont des groupes scolaires. Les développeurs ne proposent pas de visites prédéfinies et ne croient pas que cela serait plus bénéfique pour l’étude.

(…) Mais la technologie à elle seule ne présente pas la principale source d’intérêt, souligne Verschure. “Si vous avez besoin de quelque chose d’ “attrayant” pour que les gens apprennent la Shoah, un sujet par lequel ils sont intrinsèquement intéressés, cela signifie que vous avez déjà perdu la bataille”.

Par ailleurs, d’autres chercheurs ne voient aucun problème avec cette utilisation. “Bien sûr, la technologie peut attirer plus de jeunes”, affirme le professeur Minhua Eunice Ma, dont l’équipe travaille actuellement sur un jeu iPad dédié à la Shoah. “Ecouter l’enseignant en classe ou devoir lire des textes, est perçu comme ennuyeux pour les enfants qui commencent leur éducation numérique dès le plus jeune âge. Mais si vous utilisez les dernières technologies, le sujet suscitera davantage leur intérêt”

L’équipe de Ma à l’Université de Huddersfield, également en partenariat avec le Centre national de la Shoah au Royaume-Uni, crée un “survivant virtuel” qui est en fait le rendu généré par un ordinateur 3D d’une personne réelle, capable, lorsqu’on lui pose une question, de faire la transition vers un témoignage préenregistré. Ils promettent que le “modèle de réalité mixte” permettra de préserver la possibilité de converser avec un survivant pour les générations à venir.

“Les visiteurs du centre pourront bientôt questionner le survivant au sujet de son expérience, et le système pourra analyser la question en temps réel, tout en repérant les correspondances dans notre base de données afin de donner le résultat le plus précis”, explique Ma. Elle ajoute que 82% des réponses ont été pertinentes.

Un projet similaire est développé par la Fondation américaine de la Shoah pour produire des hologrammes en 3D capables de tenir une conversation, mais à un coût beaucoup plus élevé dixit Ma.

“A l’avenir, nous espérons fournir un accès au survivant virtuel en ligne, ce qui correspondrait en quelque sorte à une discussion Skype avec un vrai survivant.” Les chercheurs prévoient également d’effectuer une sorte de test de Turing, pour voir si les utilisateurs sont en mesure de détecter qu’ils interrogent un ordinateur”.

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