Étrange campagne que celle-là, avec émissions tours pour chacune des deux primaires diffusées à la télévision. Et ce lundi 20 mars, un débat entre les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle. Du jamais vu, en effet, sachant que, traditionnellement, le seul débat concernait naguère les finalistes de l’élection suprême, ce entre les deux tours.
Le débat donc ; enfin, plutôt une sorte d’oral de baccalauréat, mais d’assez bonne tenue, néanmoins. Petit détail d’ordre vestimentaire, François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron, candidats du « système », sont vêtus de bleu sombre, alors que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, candidats « hors les murs », ont opté pour le noir, l’une avec sa rose bleue et l’autre avec un pin’s rouge…
Ce détail n’en est peut-être pas un, sachant que, deux longues heures durant, ces deux-là ne s’agressent guère, s’épaulent parfois. Tout comme on remarque aussi que François Fillon et Marine Le Pen se ménagent l’un l’autre, et qu’Emmanuel Macron aurait plutôt tendance à fédérer tous les participants contre sa personne, fut-ce à mots plus ou moins couverts. Dans un semblable registre, ce dernier n’en finit plus de draguer François Fillon, histoire peut-être de faire oublier son trop-plein de soutiens de gauche et de tenter de consolider son flotteur droit ou ce qui lui en tient lieu. Bref, à moins de quarante jours du premier tour, il faut bien anticiper le second…
Sur le fond, ce débat illustre assez bien la phrase de Manuel Valls selon laquelle « la droite a gagné la bataille des idées ». En effet, plus personne ne se risquerait aujourd’hui à prétendre que « l’immigration est une chance pour la France » ou que la délinquance de masse « relève avant tout du fantasme sécuritaire ». Idem pour les frontières. Tout le monde en veut, qu’elles soient strictement françaises ou plus largement européennes.
Itou pour l’Europe, personne, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, n’osant affirmer comme ils auraient pu le faire naguère, que cette même Europe serait source de mille félicités.
D’où cet accord relatif entre les parties en présences, sur des problèmes d’ordre technique, nombre de fonctionnaires, signes religieux dans l’espace public, âge de départ à la retraite, moyens des forces de police. Car la différence se joue plutôt sous l’angle politique : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se retrouvent souvent sur la même ligne, nonobstant leurs itinéraires personnels et leurs cultures politiques d’origine. Bref, ce sont les deux à avoir une vue globale, alors que les trois autres ne portent sur le sujet qu’un simple regard comptable.
Là où ce que l’on ressent de manière diffuse éclate au grand jour, c’est lors de la dernière partie du débat, consacrée à la politique étrangère. À l’occasion, François Fillon se réveille un peu, se rappelle à la fois de son vieux tropisme gaulliste et de ses promesses de pré-campagne désormais plus ou moins avortées. Un peu tard toutefois, pour combler le retard pris sur les deux trublions qui, eux, semblent avoir une vision autrement plus stratégique de la question, avec en commun la condition d’une véritable diplomatie française ayant pour préalable une sortie de l’OTAN. Rien de bien neuf sous le soleil, mais il était intéressant de constater que cette union des patriotes des deux rives n’était pas seulement vue de l’esprit ; surtout à la vision d’un Emmanuel Macron explosant en plein vol, dans une envolée géopolitique digne des grandes heures de Raymond Devos, et sans nulle doute destinée à demeurer dans les bêtisiers télévisuels des décennies à venir.
Au final, les déclarations d’intention. Fillon assure qu’il n’est pas parfait, mais assure qu’il fera mieux, puisque maire d’une petite commune. Hamon fait de la calinothérapie avec une démocratie bienveillante et un futur désirable. Le Pen, avec bon sens féminin de rigueur, estime en substance, que pour influer sur leur destin, les Français doivent redevenir maîtres chez eux. Mélenchon s’en prend aux forces de l’argent, en bon socialiste forgé à la lecture de Charles Péguy qu’il est devenu. Macron fait du Macron, façon séminaire d’entreprise, et en appelle à lutter contre les forces de la peur. Même celle du ridicule ?
Pour le reste, on a connu pire soirée.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire