Un nouveau Jean Raspail!

Par Alain Sanders

Cinq chefs d’œuvre de Jean Raspail et un inédit (inachevé) réunis en un seul volume ! Si ce n’est pas là un événement littéraire majeur, je ne sais pas ce que parler veut dire.

Trois parties composent ce volume de quelque 1 200 pages. Les deux premières illustrent les grands cycles romanesques de l’auteur du Camp des Saints :

« La Patagonie », avec Le Jeu du Roi, Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (Grand Prix du roman de l’Académie française), Qui se souvient des Hommes…

« Les Confins », avec Septentrion et Sept Cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée (une des plus belles phrases de la littérature française)

« L’inédit » : La Miséricorde.

Jean Raspail a ce génie de faire se lever des mondes mystérieux, des mondes d’où, comme ses héros qui sont devenus nos compagnons (pour ne pas dire nos complices), on ne ressort jamais intact.

On ne peut que féliciter les Editions Robert Laffont d’avoir réuni tous ces textes sous un titre ô combien raspalien, Là-Bas, au loin, si loin… Là-bas. Au-delà des landes. Des steppes. De la mer. Des septentrions. Des plaines semées de lacs. Des marécages qui disparaissent sous des océans de roseaux. Les lisières. Les bordures. Les marches. La Frontière.

Le Jeu du Roi, c’est celui d’un petit garçon qui rêve d’un royaume et d’un roi de Patagonie. Un monarque que l’on découvre – et à qui on a fait allégeance – dans Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie. Avec ses sujets akaloufs de Qui se souvient des Hommes…

Avec Septentrion et Sept Cavaliers, nous passons de l’autre côté du limes. De l’autre côté du rêve. Là-bas. Au loin. Si loin…

La Miséricorde, livre inédit – et inachevé, donc –, écrit entre 1966 et… 2003, est la relation romanesque d’une histoire vraie, d’un terrible fait divers survenu il y a soixante ans et qui bouleversa la France.

Post Scriptum

Dans un « Post Scriptum », qui est en soi un inédit supplémentaire, Raspail en explique la genèse. En insistant bien sur le fait que « ce livre est un roman ». J’ai évoqué Bernanos plus haut. Raspail aussi. Mais pour dire :

— J’étais donc seul – et je le suis resté – face à ce livre, comme face à une muraille sacrée, infranchissable, inatteignable, au pied de laquelle je me sentais démuni, déplacé : n’est pas Bernanos qui veut…

En 1966, il en avait écrit trente feuillets. Avec, à la fin de son premier ouvrage paru chez Robert Laffont, un livre d’exploration, cette indication : « A paraître : La Croix du Bief ». Une sorte de bluff :

— Inconnu comme romancier, j’espérais, par cet effet d’annonce, me doter d’une stature dont je n’avais pas le gabarit.

Il écrivit encore quarante feuillets. En 1970, quand paraît Punch Caraïbe, on relève cette fois (toujours en queue de liste) : « En préparation : Dieu cellule 25, roman ».

Au fil du temps, il va raturer, compléter, modifier l’architecture du récit et le rebaptiser La Miséricorde. Et il rangera le tout dans un tiroir :

— La Miséricorde est un livre inachevé, auquel manquent une quarantaine de feuillets qui n’ont jamais été écrits.

Préfacier de cette somme de plus de mille pages, Sylvain Tesson écrit : « Lecteurs ! Vous allez embarquer sur un navire étrange, un bâtiment littéraire. Il a largué les amarres il y a cinquante ans, à moins que ce ne fussent cinquante siècles (…). C’est un vaisseau de légende. L’équipage ? Des hommes inaptes à la vie moderne. Son port d’attache ? La mélancolie. Tout horizon perdu. »

Chez Raspail, les ciels et les cieux se brisent en pluie d’étoiles. La nuit resplendit d’éclairs rouges. Et, comme encore dans La Miséricorde, Dieu est un personnage de roman. L’Hôte glorieux, car Lui se souvient des Hommes, qui nous attend à Notre-Dame-de-l’Ultime-Compassion : « Dieu connaît votre âme en son entier mais, si je puis dire, il a besoin d’un coup de pouce pour en tenir compte au jugement dernier. »

L’œuvre de Jean Raspail est un jeu de piste. Il faut en décrypter les messages et accepter, comme le font les Celtes, de passer de l’autre côté du rideau de pluie. Jean Raspail nous l’a dit depuis longtemps : « La fin de la piste n’est accessible que dans l’au-delà. »

Robert Laffont, Collection « Bouquins ». Parution : 9 avril 2015. Nombre de pages : 1 184. Prix : 30,00 euros.

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