La maison zen, manuel pour devenir cinglé

Le petit livre du moine japonais Keisuke Matsumoto connaît un succès qui ne se dément pas, non seulement au Japon mais aussi dans nos pays occidentaux… La Maison Zen – Nettoyer, laver ranger… une méthode simple pour une vie plus sereine titre l’édition française – il vient tout juste de sortir au Royaume-Uni. Ne vous fiez pas à son caractère prosaïque : pour ses adorateurs, il est « plus » que cela. Au delà d’une simple opération propreté, c’est une question de revigoration intellectuelle, de libération personnelle. Menée à bout, je parlerais plutôt d’une aliénation…
 

« Votre première activité de la journée après s’être lavé le visage et s’habiller » : nettoyer sa maison

 
Un grain de poussière sur une ampoule à trois mètres du sol, ou un brin d’herbe mal placé dans votre jardin peut ruiner votre vie… La méthode Matsumoto est très concrète. Il faut se lever avant tout le monde, alors que la maison est sans bruit, ouvrir grand les fenêtres (y compris en hiver) et opérer dans la concentration la plus complète les trois heures de nettoyage et de rangement qui sauveront votre moi. Pas compliqué.
 
Sus au calcaire, aux moisissures, à la saleté. De la cuisine à la salle de bains, des toilettes à votre armoire de chambre, tout doit y passer. Mais interdit de tuer les insectes – chaque vie est importante. Et pour les fenêtres, il est préférable de les nettoyer avec un vieux journal. A genoux sur le sol, la sueur perlant sur votre front plissé, vous gagnerez peu à peu en reprise de vous-même.
Et aucun vêtement ne doit traîner ! Car la moindre chemise sale doit être lavée, séchée, repassée et rangée dans la journée. Quant à votre corps, il fait aussi partie de la maison ; il est important d’avoir un lavage corporel complet au moins douze fois par jour. Pour les cheveux, se les faire couper les 4e, 9e, 14e, 19e, 24e et 29e jours de chaque mois – sauf pour les chauves. Ces dernières indications étaient destinées aux jeunes moines novices, mais l’idée doit demeurer…
 

« Si tu vis insoucieusement, ton esprit sera souillé » : le secret pour être zen

 
Autant tous les jours ? ! Oui. Car c’est autant une mesure effective qu’une mesure « préventive » comme le disait une journaliste du Telegraph. Faire son ménage avant que la poussière n’arrive en quelque sorte. Créer un espace vierge permanent. Parce polir sa maison, c’est polir son âme…
 
Certes l’idée n’est pas nouvelle, le nettoyage étant une pratique fondamentale du bouddhisme japonais. Au pays du Soleil levant, les populations se joignent même aux moines pour dépoussiérer les temples, juste avant le Nouvel An. Mais les moines, eux, en font une discipline. « Nous ne faisons pas cela parce que c’est sale ou en désordre. Nous le faisons pour éliminer la morosité dans nos cœurs. Nous balayons la poussière pour éliminer nos désirs terrestres. Nous nettoyons la terre pour nous libérer des attachements ».
 
Quand la crasse et le désordre s’accumulent, c’est votre esprit qui s’empoisonne. Nettoyer et encore nettoyer, c’est donc une pratique sans fin qui a sa propre fin : la paix intérieure. Et donc pas de sous-traitance possible !
 

Comment créer des troubles obsessionnels du comportement

 
C’est là que ça pose un problème… Il y a certes du bon sens à un certain nombre de résolutions en la matière. Qui ne se sent pas satisfait d’un travail bien fait ? Qui n’apprécie pas une maison sereine, qui fleure le muguet, où tout est à sa place ? ! Où les tâches sont faites en temps et en heure, sans proscratination ? Montre-moi ta maison, je te dirai qui tu es…
 
Mais s’il faut croire qu’à chaque fois que sa maison, ou une partie seulement est sale ou en désordre, que son âme est dans le même état, on risque fort de voir sa vie devenir un enfer sur terre ! Matsumoto parle de succomber « à l’inquiétude et à l’anxiété » si on n’observe pas ses commandements. Je dirais plutôt l’inverse… je succomberais moi-même rapidement à un TOC abominable qui me transformerait illico en mère Michue acariâtre, une serviette visée sur la tête toute la journée, interdisant le moindre jeu (=désordre) à mes enfants et le moindre bricolage (=poussière) à mon mari bricoleur, les menaçant à grands cris de les expulser dans les ténèbres environnantes…
 
Et puis, accepter que, malgré sa bonne volonté, il y ait des événements, des périodes qui font que votre maison n’est pas au mieux de sa forme, c’est une humilité fortement bénéfique… Il faut savoir accepter que l’on n’est pas maître de tout, sans le prendre évidemment comme un prétexte ! Non, le ménage n’est pas un but en soi. Derrière une saine règle de vie, c’est l’accomplissement d’un devoir d’état, et donc un simple moyen, au service d’une Cause toujours plus grande.
 

Philosophie bouddhiste : ça ne va quand même pas loin

 
L’idée a, en fin de compte, des soubassements philosophiques et religieux très présents. Et l’engouement qu’elle suscite est révélateur de l’état intérieur de nos sociétés occidentales, pourtant chrétiennes, du moins à l’origine… Noyées dans une vie consumériste, surchargée, coupée de toute transcendance, elles aspirent pour une part à retrouver une sorte d’idéal qui calme leurs appréhensions fondamentales.
 
Ce nettoyage métaphysique le leur propose – et son incongruité ne les choque pas ! Par cette occupation journalière intense et concentrée, on s’empêche de penser au passé et à l’avenir, on croit opérer jour après jour un accomplissement vital. L’auteur, chercheur au Centre de recherche bouddhique de la Terre Pure (ça ne s’invente pas) ne s’est pas trompé sur son opportunité.
 
C’est aussi à mettre en relation avec les concepts tendance du moment qui gagnent ceux que j’appellerais « les chercheurs d’équilibre », comme le minimalisme ou la sobriété heureuse. Se concentrer sur l’essentiel, ne pas posséder plus que nécessaire… On flirte avec le concept de la décroissance.
 
Grandes idées pour petit sujet ? ! Peut-être… mais de grands principes se cachent souvent derrière de telles marottes !

 

 

Lu sur RITV
 

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