Au royaume des aveugles…
En lisant les panégyriques du Monde, des Echos, de L’Express et de l’ensemble de la presse quotidienne régionale, on en vient à s’étonner que Xavier Beulin n’ait pas été récompensé par le Prix Nobel de la paix. Quant aux politiciens qui ne viennent salir leurs souliers dans la glaise que pour maintenir leur place dans les ministères ou au palais Bourbon, ils ont été merveilleux de sincérité et de profondeur. Ouvrons le bal avec le plus célèbre conseiller général de Corrèze, qui déplore « une perte majeure pour la France ». Bernard Cazeneuve, qui a probablement peu lu Giono, n’a pas hésité à saluer « un ardent défenseur de l’agriculture et des paysans », ouarf ! Ségolène Royal a préféré souligner que « le dialogue sur l’agroécologie était vraiment constructif et respectueux », ce qui porte à sourire quand on connaît l’obsession de Beulin pour la légalisation des OGM. Mais la palme des pleureuses revient à Christian Jacob, qui n’hésite pas à voir dans le décès de Xavier Beulin « un choc immense pour tous les paysans de France ». Mais au pays des « éléments de langage », les mots ont-ils encore un sens ? Choc, immense, paysans… Fermons le robinet des larmes et posons une question naïve : que faisaient toutes ces belles âmes hier, que feront-elles demain et, tous les deux jours, à chaque suicide d’un agriculteur français ?
Le dogme de l’agro-industrie
Car les suicides continueront si le modèle tant vanté et « courageusement défendu » par Xavier Beulin poursuit son écrasante domination. Venons-en au fait : une agriculture livrée à une totale libre concurrence, qu’elle soit mondiale ou européenne, ne peut que conduire nos paysans à la faillite. La France ne peut rivaliser avec la Pologne, la Roumanie ou le Maroc. Elle ne le pourra jamais. Même après avoir remplacé les petites exploitations qui ont fait la richesse et la qualité de ses produits par des usines de production animale ou végétale. Celles qui sont l’avenir de « l’innovation innovante qui innove » des gourous du Progrès.
Il faut, pour comprendre le Moloch que nous promet l’agro-industrie, lire attentivement le dernier livre de Xavier Beulin, son « livre testament » d’après la grosse presse. Le titre : Notre agriculture est en danger. Reconnaissons ici l’extrême clairvoyance de son auteur… Il faut également aller voir les plaquettes de présentation du groupe Avril-Sofiprotéol, celui-là même que dirigeait Xavier Beulin en même temps que la… FNSEA. Ce nom vous est peut-être étranger, mais cette multinationale se définit comme le « leader français industriel et financier des huiles et protéines végétales ». Multinationale, leader industriel et financier, cela rime mal avec paysannerie, traditions et terroirs, ne trouvez-vous pas ?
Une troisième voie
Formons des vœux. Tout d’abord que Xavier Beulin soit bien vite accueilli dans la maison du Père. Mais ensuite que le modèle de productivisme qu’il a incarné avec tant de détermination et de ténacité – d’efficacité, même – soit enfin perçu pour ce qu’il est : une frénétique course en avant qui va ruiner le patrimoine agricole et gastronomique de la France. La défense d’une agriculture de qualité, avec des exploitations à taille humaine et des revenus dignes, doit être une priorité pour le camp patriotique. Les engagements pris par Marine Le Pen en ce sens, pour retrouver notamment notre souveraineté face aux agressions du marché unique européen, ont d’ailleurs entraîné une mobilisation croissante du monde agricole derrière le Front national. Xavier Beulin ne s’y était pas trompé, se fendant même d’une lettre ouverte pleine d’inquiétude en mai 2014.
Le collectivisme agricole a sombré dans les oubliettes de l’histoire, il ne reste désormais plus que la communion des politiques de droite comme de gauche autour du libre-échangisme productiviste. Une troisième voie est possible, elle doit être défendue sans relâche. Cette alternative, qui passe notamment par la vente directe, la conversion biologique et la montée en gamme, doit bien entendu être soutenue par un effort financier des Français dans leur panier, un véritable sacrifice pour des foyers déjà touchés, mais un effort riche de promesses. Pour nos enfants et ces paysans que nous aimons tant.
Pierre Saint-Servant _ Présent