Avec sept récompenses sur huit nominations, le chef d’œuvre d’Abderrahmane Sissako sur la terreur islamiste au Mali a été sacré par l’Académie du cinéma français. Retour sur une soirée soporifique et un plébiscite amplement mérité.Alain Terzian, incorrigible optimiste, l’annonçait dimanche dernier, cette soirée des César serait «féérique». Pour mettre les rieurs de son côté, le président de l’Académie des César avait décidé de confier la baguette de Monsieur Loyal à Édouard Baer. Son aquoibonisme débraillé n’a hélas pas suffit à sortir le public du Théâtre du Châtelet de sa torpeur.
On surprit même l’acteur et réalisateur Sean Penn, à qui Marion Cotillard a remis hier soir un césar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, en train de piquer du nez tandis que sa compagne Charlize Theron gardait, elle, les yeux ronds de celle qui aimerait saisir les jeux de mots vaseux de Stéphane de Groodt et Alex Lutz. On aurait aimé le contre-champ sur eux voyant débarquer Marylou Berry et Jean-Paul Gaultier, sans pantalon.
Après ses ch’tites blagues liminaires sur les salaires des acteurs, Dany Boon, président de cette édition anniversaire a placé d’emblée la cérémonie sous le signe de la tolérance. «Le monde a besoin qu’on lui raconte de belles histoires pour croire en lui, en son humanité», a déclaré l’humoriste. Il annonçait sans le savoir le grand triomphe hier soir d’Abderrahmane Sissako. Le cinéaste mauritanien est en effet reparti avec six césars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.
Timbuktu, chronique d’un village malien tombé sous le joug des islamistes est bien le beau vainqueur de la soirée. Le film d’Abderrahmane Sissako, reparti bredouille de Cannes mais très apprécié par les festivaliers, ne doit pas son succès aux attentats des 7, 8 et 9 janvier derniers. Sorti en salles le 10 décembre, il avait déjà attiré un large public avant les attaques terroristes. Il est indéniable que ce contexte lui donne une dimension et une force supplémentaires. Dans Timbuktu, néanmoins, Sissako rappelle que la violence des djihadistes s’exercent d’abord contre les musulmans eux-mêmes. Il a pris le risque de regarder la terreur en face. Risque qu’il a métabolisé en chef-d’œuvre. Citant L’Idiot de Dostoïevski, le cinéaste pense en effet que la beauté peur sauver le monde. «La beauté est souvent considérée comme quelque chose de superficiel, de décoratif. La beauté, c’est la distance nécessaire quand on évoque la violence», nous confiait le réalisateur. Comme Guillaume Gallienne l’an dernier pour Les Garçons et Guillaume, à table!, il n’a pas eu assez de bras pour emporter tous ses césars
Le reste du palmarès est pertinent et valide l’offre riche et abondante de l’année 2014. Thomas Cailley a reçu sans surprise mais très justement le César du meilleur premier film pour Les Combattants. Son duo à l’écran, Adèle Haenel et Kévin Azaïs (césar de la meilleure actrice et du meilleur espoir masculin) est le couple de l’année. Après Sean Penn, Kristen Stewart a été l’autre artiste américain récompensé pour son rôle d’assistante de Juliette Binoche dans Sils maria d’Olivier Assayas (césar du meilleur second rôle féminin). On aura aussi entendu une pointe d’accent québécois grâce à Suzanne Clément, l’une des interprètes de Mommy, césar du meilleur film étranger. Maigre consolation pour Xavier Dolan qui pensait partir à la conquête d’un Oscar.
On attendait la guerre des Saint Laurent. Elle n’a pas eu lieu. Les films de Jalil Lespert et de Bertrand Bonello, malgré le nombre pléthorique de nominations (17 au total) se sont neutralisés. Les votants ont cependant préféré Pierre Niney à Gaspard Ulliel dans le rôle du grand couturier. Sa face la moins sombre et la plus officielle – le film était parrainé par Pierre Bergé – de ce génie français de la couture. Il a fait pleurer Guillaume Gallienne qui cette année n’a pas reçu de trophée. «Avec Gaspard (Ulliel, NDLR), on a eu une année un peu spéciale tous les deux. On a prouvé notre amour de ce métier à tous ceux qui voulaient nous opposer.»
Favorite dans la catégorie du meilleur espoir féminin, Louane Emera, la fille à voix d’or de La famille Bélier a eu le dernier mot.
Jean Labadie, le patron du Pacte, est l’autre grand gagnant puisqu’il est le distributeur de Timbuktu mais aussi d’Hippocrate (césar du meilleur second rôle pour Reda Kateb), du Sel de la terre (césar du meilleur documentaire) de Minuscule, la vallée des fourmis perdues (césar du meilleur film d’animation). Il peut revendiquer 10 trophées, en plus des 6,3 millions d’entrées en salles cumulées ; «La cerise sur la cerise du gâteau», comme dirait Louane Emera.