Souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le statut juridique des liens hypertextes est en ce moment au cœur des débats relatifs au projet de loi pour une « République numérique ». Si la défense du modèle français des droits d’auteur, assez brillamment assurée par l’avocat Richard Malka dans son pamphlet intitulé La Gratuité, c’est le vol en référence à la citation souvent mal comprise de Pierre-Joseph Proudhon, est une juste cause que j’ai pleinement soutenue, elle ne doit pas entraîner des excès susceptibles de nuire aux nouvelles habitudes de communication en ligne.
Comme Richard Malka l’affirme dans sa plaquette, « la remise en cause du droit d’auteur » est un « mirage de la modernité ». Un mirage qui appauvrit les créateurs et en fait les obligés des géants du Net, ces grands groupes transnationaux aux comportements féodaux (citons notamment Google, Amazon et Apple). Censures grotesques liées aux chartes édictées par les GAFA (le livre T’Choupi part en pique-nique a été censuré par Apple en raison du caractère possiblement pornographique du titre), contenus aspirés… Les exemples d’idioties générées par la création du « marché unique numérique » sont légion.
Quand les autorités françaises saluaient l’idée de la Commission européenne de mettre « au premier rang de ses priorités pour l’établissement du marché intérieur numérique l’amélioration de l’accès à travers les frontières aux biens et services proposés en ligne » mais s’inquiétaient du danger que cela pourrait poser pour la diversité culturelle intra-européenne, elles étaient parfaitement hypocrites. Comme toujours, nous tentons de réconcilier l’irréconciliable : on ne peut pas abolir toutes les frontières en souhaitant préserver notre exception culturelle.
Pour faire bonne mesure, quelques députés socialistes se sont dit qu’il serait une bonne idée de suivre l’avis de Richard Malka et de s’opposer réellement aux réformes portées par la Commission européenne dangereuses pour les auteurs. Ils n’ont pas tort. Je vais même jusqu’à dire que je salue l’initiative. Le problème, comme souvent avec les socialistes, tient dans l’application concrète de ces intentions politiques. Tout ce qui est excessif est insignifiant.
En déposant l’amendement n° 843, les députées socialistes Karine Berger et Valérie Rabault se sont laissées aller à l’excès. Leur amendement dit que :
« 9. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne bénéficient pas de la limitation de responsabilité prévue au 2 lorsqu’ils donnent accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le code de la propriété intellectuelle, y compris au moyen d’outils automatisés.
Ces prestataires sont tenus d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits concernés. Cette autorisation couvre les actes accomplis par les utilisateurs de ces services lorsqu’ils transmettent auxdits prestataires les œuvres ou objets protégés, afin d’en permettre l’accès mentionné au premier alinéa du présent 9, dès lors que ces utilisateurs n’agissent pas à titre professionnel. »
Concrètement, une telle mesure signifierait qu’un site comme Fdesouche, fonctionnant pour l’essentiel comme une plate-forme de relais d’articles de presse, ne pourrait plus exister. Les grands organes de presse, tenus par quelques investisseurs richissimes, réclament ces dispositions depuis longtemps, furieux de voir leurs articles diffusés sur des sites Internet éloignés des lignes éditoriales qu’ils défendent. Internet est constitué pour l’essentiel de liens hypertextes. La France serait exclue du Web mondial avec cet amendement délirant et liberticide. On peut même se demander si cet amendement n’est pas motivé par des intérêts privés ou une volonté de contrôler le Web français.
Par ailleurs, Julien Aubert, député républicain du Vaucluse, souhaite bloquer tous les sites sans représentants juridiques, c’est-à-dire la moitié des plates-formes Web françaises ! Protéger les droits d’auteur : oui ; éviter le n’importe quoi : oui ; se couper des réalités des territoires dématérialisés : surtout pas. Nos députés ne connaissent pas le sujet.