Valle-Inclan d’Annick Le Scoëzec

Comment définir Ramón del Valle-Inclán, qui s’appelait Valle Peña à l’état civil, mais qui se voulait hidalgo et qui s’est dépeint parfois sous les traits d’un « marquis de Bradomín » ? C’est déjà difficile pour un Espagnol ! Annick Le Scoëzec Masson, hispaniste distinguée, s’y est essayée pour nous autres Français, dans un nouveau volume de l’excellente collection Qui suis-je ? (1).

On pense, au début de sa carrière d’écrivain, à un Huysmans fin de siècle puis, quand il devient carliste, à un La Varende un peu fou, enfin à un Joséphin Péladan « théosophe » lorsqu’il publie La Lampe merveilleuse à 50 ans, en 1916 (après avoir déjà édité ses Opera omnia !). Mais ce serait laisser dans l’ombre son théâtre, qui n’aboutit jamais à des réalisations concluantes, car notre hidalgo se brouille avec metteurs en scène, propriétaires de théâtre ou acteurs (il épouse toutefois une comédienne, qui lui donnera cinq enfants). Ce serait oublier le président d’honneur des Ecrivains hispano-américains, parti découvrir le Mexique à 26 ans (il reviendra y prêcher contre les grands propriétaires hispaniques), fréquentant plus tard l’Argentine… Et puis l’œuvre n’est pas terminée en 1916. Il invente une sorte d’expressionnisme ibérique, l’esprepento. Il se convertit à la République, est même candidat aux élections, puis déclare que c’était seulement par haine d’Alphonse XIII. Il obtient cependant du président Azaña des prébendes, dont l’équivalent espagnol de la Villa Medicis, où il se met à dos, évidemment, tout le personnel, sans parler des élèves. Il meurt d’un cancer à Saint-Jacques de Compostelle, sa terre natale, en janvier 1936.

Il reste pour tous « le second manchot des Lettres espagnoles », après Cervantès ! Car en 1899 ce grand animateur de tertulias (réunions-débats dans les cafés ou les salons) s’est emparé un soir, par le goulot, d’une bouteille pour menacer un contradicteur, le poète Bueno, qui répliqua par un coup de canne sur le bras gauche… La blessure s’envenima, on dut couper le bras. Il rassura son adversaire d’un jour : « Ne t’inquiète pas, Bueno ! C’est avec la main droite qu’on écrit ! » (sur Bueno, né à Pau en 1874 et qui devait mourir tragiquement six mois après sa « victime », voyez ci-dessous.

Les Sonates de Valle-Inclán (quatre saisons, 1902-1906) bénéficient en effet d’une traduction nouvelle d’Annick Le Scoëzec Masson aux éditions Classiques Garnier.

Robert Le Blanc

(1) Editions Pardès (B.P. 11, 44 rue Wilson, 77 880 Grez-sur-Loing), 128 p., 12 euros. Le volume est somptueusement illustré : photos des villes et villages, caricatures, portraits peints reproduits à profusion (la silhouette peu banale de Valle-Inclán a beaucoup inspiré les artistes).

Fusillés par les Républicains :
Manuel Bueno, Muñoz Seca, Ramiro de Maeztu…

Les admirateurs (a posteriori) du Frente popular espagnol ne cessent d’exalter le poète García Lorca, assassiné près de Grenade en juillet 1936, dès le début de la Guerre Civile. Ils parviennent à faire oublier qu’au même moment ce sont trois écrivains, le poète Manuel Bueno, proche des phalangistes, le dramaturge Muñoz Seca et l’essayiste monarchiste Ramiro de Maeztu qui étaient fusillés près de Madrid et jetés dans d’abominables charniers. Les autres écrivains hostiles au Front populaire (Pío Baroja, Ortega y Gasset, Sanchez Mazas, Menendez Pidal, Marañón, etc. etc.) ne durent leur salut qu’à la fuite… ou à l’exil quand ils étaient déjà à l’étranger. On peut consulter à ce propos Les Armes et les lettres d’Andrés Trapiello (La Table ronde, 2009), un des rares livres honnêtes aujourd’hui sur les deux camps.

Robert le Blanc – Présent

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