Le fabuleux destin des sanguinaires d’Abomey

Pendant trois siècles, douze despotes impitoyables sont parvenus à bâtir l’un des plus puissants royaumes d’Afrique de l’Ouest. Ils sont douze. Douze salopards impitoyables aux pouvoirs illimités. Ils pratiquent la traite négrière, le culte du sang et se préoccupent uniquement d’entretenir la cour et de faire la guerre. Ils disposent de la vie et des biens de leurs sujets. Ils héritent des morts. Et quand il n’y a plus d’argent dans les caisses pour assurer leur train de vie, les hommes du roi dépouillent les maisons riches et les marchands dans les rues. Toute tentative de résistance est considérée comme un crime. Personne ne la ramène. Presque tout le monde est pauvre.
Il n’y a volontairement ni route ni canaux, afin de dissuader les envahisseurs. À l’arrivée des premiers Européens, le territoire de l’actuel Bénin était divisé en royaumes et chefferies. De tous ces royaumes, celui d’Abomey, encore appelé Danxomé ou Dan-Homé, est devenu prépondérant. Il a été fondé vers 1625 par Houégbadja. À l’origine, ce dernier s’installe dans un village près de Guedevi et fortifie sa maison en l’entourant d’un fossé, Agbomè. Les chefs de village dirigent à tour de rôle la région. Mais, quand son tour de gouverner se termine, Houégbadja refuse d’abandonner le pouvoir. Reconnu pour ses qualités de sage administrateur, il réussit finalement à se faire introniser et met en place un gouvernement puissant guidé par les traditions religieuses.

Surveillés par les femmes du roi
En état de guerre permanente, ce royaume était diablement bien organisé. Le principal ministre du roi, qui a une charge héréditaire, est le Migan, Premier ministre et bourreau. Le ministre des Affaires étrangères (le Mèhou) surveille les princes, et celui chargé de l’Ordre (l’adjaho) veille à la bonne marche du palais. L’administration s’appuie sur les chefs des villages qui lèvent l’impôt. Les fonctionnaires sont surveillés par les femmes du roi. Le clergé guide les actions du roi par la consultation du Fa (oracle), puissance vaudou.
La religion du roi lui défendant de voir la mer, il nomme, à l’époque de la traite négrière, lorsque Ouidah est soumise à l’autorité d’Abomey, un vice-roi (yovogan) chargé de régler les affaires entre les blancs et le royaume. Chaque monarque devait désigner parmi ses fils celui qui était le plus apte à régner, avec l’approbation de ses ministres et devins. Le nouveau roi devait laisser après lui un territoire plus vaste que celui qu’il avait reçu, et édifier un nouveau palais à proximité de celui de son prédécesseur. Il devait aussi choisir un emblème, illustrant son programme politique, et un nom évocateur, symbole de sa puissance. En trois siècles, une gigantesque cité royale s’est ainsi constituée sur plus de 40 hectares. Ce système de succession garantissait la stabilité du royaume, qui devint l’un des plus puissants d’Afrique de l’Ouest, avant de devenir un protectorat français.

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La paternité de tous les “de Souza” du Togo et du Bénin
Sur l’échelle de la cruauté, Adandozan, fils d’Agonglo, est souvent présenté comme le plus féroce. Il malmène les Européens de Ouidah, comptoir négrier sur la côte, et jette en prison Francisco de Souza (1754-1849), un métis brésilien marchand d’esclaves et assoiffé de pouvoir. L’histoire est plus compliquée. Les historiens admettent qu’Adandozan était opposé aux pratiques de l’esclavage et que son affrontement avec Francisco de Souza va précipiter sa destitution, orchestrée par le prince Gakbé, futur roi Ghézo (1818-1858).
Aidé par Gakbé, Francisco de Souza s’échappe et aide à son tour le prince à monter sur le trône. Ce dernier le nomme conseiller à la cour royale et vice-roi de Ouidah (yovogan), conquise en 1725. Il entretenait plus d’une cinquantaine de femmes. On lui attribue la paternité de tous les dénommés “de Souza” du Togo et du Bénin. L’écrivain togolais Kangni Alem a fait d’Adandozan un personnage de son roman, dont il se sert pour éclairer cette période qui a vu l’autorité d’un royaume s’affaiblir sous le pouvoir d’un directeur de fort négrier. Depuis son fondement, le pouvoir d’Abomey était sujet à des conspirations, des retournements d’alliance et des assassinats de monarque.

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Culte du sang et des morts

Ghézo sera l’un des plus grands rois d’Abomey. Déployant une stratégie de conquête, il réorganise l’armée pour en faire une structure permanente, comprenant un corps d’amazones, les femmes guerrières. Réputées pour leur férocité au combat, on raconte qu’elles se faisaient couper les seins. Chacune devait revenir avec des têtes d’ennemis sinon c’est elle qui se faisait trancher la sienne. Des rites extrêmement complexes codifiaient la vie d’Abomey. Les artisans devaient exclusivement produire des objets dédiés à la gloire du souverain. Y étaient pratiquées les religions du sang et du serpent. Le culte des morts reproduisait la hiérarchie sur terre. Les pauvres étaient jetés en pâture dans la brousse aux fauves, les riches avaient droit à un lit mortuaire. Parfois, on égorgeait un enfant pour apaiser le gardien de l’au-delà. Les obsèques des rois donnaient lieu à de grands massacres d’hommes et de femmes destinés à leur servir de larbins ou d’épouses dans l’autre monde. Les Dahoméens croyaient à la vie éternelle. Les familles étaient fières qu’un des leurs soit choisi par le roi comme intercesseur pour dialoguer avec les morts, qui ne le sont jamais vraiment. C’était une façon de renouveler le personnel des anciens souverains. Avec ses grandes prêtresses, la religion du serpent relevait davantage d’un culte vaudou local, à la mythologie très complexe. On le pratique encore à Ouidah où l’affiche de Benoit XVI, placardée sur le mur de la cathédrale, fait face au temple des pythons. Le gardien se fera un plaisir de vous passer le python Dangbé autour du cou, contre un billet, en plus du prix d’entrée. Photo en option, car on dit qu’elles volent les âmes. Divinité outragée doit être dédommagée.

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4 000 épouses, héritées des rois précédents
Plaque tournante de la traite négrière, le royaume d’Abomey n’a pas complètement disparu. Dans la mémoire de chaque ethnie du Golfe du Bénin, il y a toujours des rancunes. Les gens vendaient les populations des autres ethnies. La conquête étrangère a brisé la lignée royale. Aujourd’hui, il y a toujours deux rois à Abomey. On peut demander une audience. Des douze palais, il ne reste plus que celui de Ghézo et de Gléglé, le père de Behanzin vaincu par les Français, où a été aménagé le musée. Y sont exposés les objets des rois : tuniques, casse-têtes, mais aussi d’incroyables bas-reliefs, pensés par des souverains qui ne savaient ni lire, ni écrire.
Lorsqu’il est mort, Gléglé avait 4 000 épouses, héritées des rois précédents. Deux cents se sont portées volontaires pour le suivre dans sa dernière demeure. Dans la cour, une case circulaire où reposent presque sous nos pieds les quarante et une “élues”. Plus loin, dans le même registre, un temple construit d’un mélange d’argile, de poussière d’or, de perles et de sang humain, vital pour le repos de son âme. Le trône de Ghézo repose sur les quatre crânes des chefs du pays Mashi, étranglés devant la foule, en riposte à la capture de ses deux frères balafrés comme des esclaves.

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