Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié un Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Solange Bied-Charreton en a parcouru les bonnes feuilles.
On ne remerciera jamais assez Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Gaëlle Abily, rapporteure, et toute leur équipe de professionnel.le.s (sic) de l’égalité de nous avoir enfin fourni ce «Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe». Il était temps. Rappelons tout de même que, comme le souligne l’introduction dudit guide, «sans une vigilance continue, les stéréotypes de sexe sont reproduits, parfois de manière inconsciente». Ce manuel est donc plus que bienvenu.
La fière équipe du Haut conseil nous propose donc, sous la forme d’un pdf, dix recommandations pour une rééducation efficace et une meilleure pratique de la novlangue. «La langue, y est-il écrit, reflète la société et sa façon de penser le monde.» Museler le locuteur apparaît ainsi le moyen le plus sûr pour pérenniser l’idéal d’indifférenciation résultant de la périlleuse confusion entre différence et inégalité. La première des recommandations vise à «éliminer toutes expressions sexistes». On pense, bien sûr, au si joli «mademoiselle» qui cachait mal, en fait, une volonté d’humilier les femmes célibataires. Plus loin, on nous indique de veiller à user du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et à toutes: c’est ici que les «é.e.s» et autres «l.le.s» interviennent. Comme dans «représenté.e.s», pour être certains que tout le monde le soit, ou dans «professionnel.le.s», pour montrer qu’on est qualifiés. Une tautologie astucieuse au service de la dénonciation d’une injustice criante: le masculin qui l’emporte sur le féminin. Il est là, le véritable scandale. Sectionner les désinences à l’aide de points – bizarrement les slashs n’ont pas remporté l’unanimité – est une manière de dire qu’on résiste courageusement à l’oppression patriarcale perpétuée par l’orthographe française. Au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’analphabétisme est un humanisme. Ce qui rassure vraiment, puisqu’on apprend aussi que des linguistes ont participé à l’élaboration de ce guide.
Plus loin, on nous demandera de ne pas réserver aux femmes les questions sur la vie personnelle, et notamment sur la vie de famille. Plutôt que d’encourager à la sobriété et à la discrétion, tout le monde est invité à étaler ses drames intimes. Pas certain que ça joue en faveur de la lutte contre le sexisme, mais essayons toujours. La septième recommandation a, enfin, particulièrement attiré notre attention: parler «des femmes» plutôt que de «la femme», de la «journée internationale des droits des femmes» plutôt que de la «journée de la femme» et des «droits humains» plutôt que des «droits de l’homme». Surtout faites-vous plaisir et tentez autant que faire se peut d’être le plus pédant possible pour échapper au piège de l’essentialisme, on aurait vite fait de savoir de quoi vous parlez. Enfin le 8 mars, messieurs, le Haut conseil vous demande spécialement d’éviter d’organiser des concours de beauté, d’offrir une rose ou une plante verte au personnel féminin. Vous seriez bien accueillis, c’est aussi ça le problème.
En somme, ce Guide aurait pu être une parodie, disons qu’il aurait peut-être mieux valu. D’aucuns diront qu’il n’est pas très productif de tirer sur une ambulance, avouons toutefois que ça reste divertissant. Si l’on se trouvait au beau milieu d’un film de Jean Yanne, par exemple, ç’aurait été parfait. Le problème c’est que c’est la réalité. Et le plus angoissant, au sujet de cette époque, n’est sans doute pas que tout y puisse être prétexte à plaisanterie, mais bien que personne n’éclate de rire. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes est tout de même une instance consultative officielle, placée auprès du Premier ministre, c’est-à-dire qu’hélas ce n’est pas une blague. Ce qui est triste, c’est que ce «Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe» ne servira finalement à rien. La conviction profonde des membres du Haut conseil consistant à penser qu’en supprimant ou en modifiant des mots on supprimera les réalités s’y rapportant est, quant à elle, émouvante.