Même si son constat sur « la France, pays de race blanche », a été récemment jugé anachronique, « le Général » reste une référence obligée. Le 10 novembre, 45e anniversaire de sa disparition, Bruno Le Maire a clamé que « plus que jamais sa grandeur, sa liberté et son esprit de résistance doivent nous inspirer pour réinventer la France », Alain Juppé s’est « défini comme gaulliste. Avec une certaine idée de l’homme et une certaine idée de la France », le président du Sénat, Gérard Larcher et Valérie Pécresse, tête de liste de la droite pour les élections régionales en Ile-de-France, sont allés fleurir la tombe du général de même que, plus surprenant, Anne Hidalgo et Florian Philippot.
Contre l’Armée
On sait de reste « comme la République était belle sous l’Empire », et il est donc logique que le gaullisme fasse figure d’âge d’or sous le quinquennat hollandais. A condition, toutefois, en ces heures sombres où les Français paraissent si démunis, si moralement désarmés, face à la furia islamiste, de ne pas oublier que c’est De Gaulle qui, le premier depuis l’affaire des Fiches en novembre 1904, émascula et discrédita l’armée réduite par lui à un conglomérat de brutes conduites par un « quarteron de généraux factieux ». Une épuration, aggravée par l’abandon en 1997 du service militaire, Chirac régnant, dont la nation continue à payer le prix.
Mais c’est également au gaullisme que nous devons quelques-uns des maux plus actuels et plus prégnants que jamais – et l’on n’évoquera ici que pour mémoire l’éclatante réhabilitation du communisme le 13 novembre 1945 avec la nomination de ministres staliniens (tels Maurice Thorez, Ambroise Croizat, François Billoux, Marcel Paul et Charles Tillon) établissant sur l’Energie, les Transports, les syndicats une dictature dont nous pâtissons encore, et la décolonisation bâclée (inhumaine en ce qui concerne l’Algérie) avec mise en place de régimes aussi corrompus qu’incompétents. D’où la ruée vers la métropole de populations en théorie promises à une radieuse indépendance. Un boulet insupportable sur le plan de la sécurité comme on s’en aperçoit maintenant, mais aussi économiquement et sociologiquement, et qui lui-même explique la régression succédant aux Trente Glorieuses dans tant de domaines.
Contre l’Ecole
L’Education nationale en particulier, dont la faillite ne remonte pas à Mai-68 mais à la réforme Capelle-Fouchet de 1963 qui, sur la voie tracée par le très progressiste plan Langevin-Wallon à la Libération, institua le collège unique (aggravé par le ministre René Haby sous Giscard en 1976). En postulant que tous les élèves étaient également doués, on niait « le fait qu’il peut exister d’autres formes d’intelligence, non moins nobles et non moins utiles que l’intelligence conceptuelle » et l’on préparait des générations de cancres qui feraient baisser le niveau général, puis de chômeurs. Précision : le ministre choisi pour mener à bien cette réforme était Christian Fouchet, qui se flattait d’avoir été « le premier Occidental à entrer dans Varsovie avec l’Armée rouge fin janvier 1945 » et qui, proconsul en Algérie après les Accords d’Evian, couvrit de son autorité le massacre (plus de 80 victimes européennes et 200 blessés) de la rue d’Isly le 26 mars 1962.
Contre la paysannerie
Quant à notre agriculture, si elle est si malade, c’est sous De Gaulle que commença son agonie, avec la nomination en août 1961 du cosmopolite Edgard Pisani – encore un homme de gauche – comme ministre de tutelle, poste qu’il occupa cinq années durant. Un lustre pendant lequel il assujettit les paysans à la PAC (Politique agricole commune profitable à court terme mais suicidaire) dictée par Bruxelles, encouragea les cultures intensives et la motorisation à outrance. Une catastrophe pour l’environnement et le maillage humain de nos campagnes bientôt désertifiées, mais une bénédiction pour les banques et surtout pour le Crédit Agricole qui, poussant éleveurs, céréaliers et maraîchers à toujours plus s’endetter, favorisera la vente et donc le regroupement des terres, ainsi que la prolétarisation puis la raréfaction du paysannat. Et comme le funeste Pisani fut nommé en 1981 par Mitterrand Commissaire européen chargé du Développement, il put continuer à sévir.
Contre la Culture
Comme l’Ecole, comme l’agriculture, la culture française naguère admirée du monde entier se meurt, notre immense patrimoine est en danger. Mais à qui la faute initiale sinon à Charles De Gaulle qui supprima le secrétariat aux Beaux-Arts pour créer en 1958, sur le mode soviétique, un ministère de la Culture et l’offrir à l’ancien brigadiste rouge André Malraux, mythomane et cocaïnomane, qui s’y incrusta pendant onze années crépusculaires ? On a beaucoup, et à juste titre, reproché à Jack Lang les colonnes de Buren (pérennisées par François Léotard) mais on a oublié que c’est Malraux qui permit à Niki de Saint-Phalle de polluer la France de ses monstrueuses « Nanas » et offrit à Chagall l’opéra de Paris pour en barbouiller le plafond. Zélateur des « Arts vivants » qu’il privilégia frénétiquement car du passé il fallait faire table rase, protecteur officiel de tous les déviants (Les Paravents de Jean Genêt donné à l’Odéon subventionné), c’est aussi Malraux qui créa en 1962 les Maisons de la Culture : gérées à grands frais par l’Etat, elles allaient devenir très vite des conservatoires du gauchisme le plus échevelé, où se préparerait « l’esprit de mai ».
Aussi l’historien Marc Fumaroli a-t-il raison de voir dans l’action de Malraux – protégé par De Gaulle – « le grand enterrement nihiliste de la culture française », la France n’étant plus après lui qu’un « désert artistique, qu’on s’efforce de dissimuler à coup d’événements culturels ».
Quelle souveraineté ?
Bien entendu, tout n’est pas négatif dans la présidence de De Gaulle. Si le coup du « Québec libre » fut surtout un coup d’épée dans l’eau ainsi que le discours de Phnom Penh à tonalité très neutraliste, la réconciliation avec l’Allemagne en 1963, la politique de la « chaise vide » à Bruxelles, l’opposition à l’entrée dans la CEE de l’Angleterre, « maritime et insulaire » comme elle n’a cessé de le démontrer, sont à mettre à son crédit. Et les souverainistes ne s’en privent pas. Mais en occultant trop souvent le fait que la vraie souveraineté repose sur les richesses nationales, donc patrimoniales, et que celles-ci furent sacrifiées par leur idole.
Camille Galic – présent