Liberté, égalité, laïcité. Plus de huit Français sur dix (81%) souhaitent voir interdit le port de signes religieux ostensible dans les entreprises privées, révèle un rapport commandé par la Direction générale de la cohésion sociale et réalisé par le Credoc, un centre spécialisé dans l’observation des conditions de vie, que 20 Minutes s’est procuré en exclusivité.
Cette opinion s’est fortement accrue au fil des ans. «En 2005, à peine un citoyen sur deux (49%) se disait favorable à cette interdiction», rappelle Sandra Hoibian, auteure de l’étude et directrice adjointe au Credoc. Cette volonté d’étendre le principe de la laïcité, qui s’applique pour l’heure aux seuls services publics, s’explique d’abord par «notre modèle d’intégration. Alors que les Anglo-Saxons valorisent les communautés, gommer les signes religieux est pour les Français le meilleur moyen de faire disparaître les différences entre les citoyens», avance Sandra Hoibian.
«Hausse du racisme et d’une crispation plus particulière autour de l’islam»
Pour certains, cette interdiction «est aussi perçue comme une solution pour résoudre les tensions entre les communautés». Une problématique à laquelle les Français sont extrêmement sensibles puisque 93% d’entre eux pensent que «les religions peuvent créer des tensions au sein de la société». Cette idée traverse l’ensemble du corps social, y compris les personnes ayant la foi.
Reste que l’intolérance croissante face aux signes religieux ne peut être décorrélée «de la hausse du racisme et d’une crispation plus particulière autour de l’islam», note Sandra Hoibian. D’autant plus que dans les faits, la question religieuse s’invite de manière limitée dans le monde de l’entreprise, comme le prouve une enquête publiée en mai et réalisée par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre) et le groupe Randstad, l’un des leaders de l’intérim.
Moins de 3% des cas sont bloquants ou conflictuels
«Si 70% des entreprises ont été confrontées à cette question, elle ne se pose fréquemment que chez 12% d’entre elles et moins de 3% des cas sont bloquants ou conflictuels», relativise Lionel Honoré, directeur de l’Ofre. De plus, le port d’un signe religieux n’est que la quatrième problématique à laquelle sont confrontées les entreprises, loin derrière la demande d’absence pour fêtes religieuses par exemple.
Toutefois, l’enquête constate elle aussi une montée de la demande de neutralité dans l’entreprise, ce qui est une nouveauté. Ainsi, 61% des sondés -pour l’essentiel des cadres et des managers- pensent que les signes religieux devraient être proscrits de l’espace de travail.
La question de la loi
Faut-il pour autant légiférer? «56% des cadres des ressources humaines et les trois quart des managers de proximité estiment que non», répond Abdel Aïssou, directeur général de Randstad France. Car les entreprises ne sont pas totalement démunies face à cette question: elles peuvent s’appuyer sur leur propre règlement intérieur, sur le code du travail et sur la jurisprudence. Pour Abdel Aïssou, l’important est d’avoir une doctrine claire sur ce que l’entreprise accepte ou non et surtout, de proscrire les demandes religieuses prenant une tournure politique.
L’Observatoire de la laïcité est sur la même ligne. Cette instance rattachée au Premier ministre estime que «le droit existant permet de limiter l’expression religieuse dans l’entreprise privée». Fin 2013, cet observatoire a toutefois publié un guide rappelant les cas concrets dans lesquels il est possible d’interdire ou de limiter l’expression religieuse, dans le but de mieux accompagner les sociétés rencontrant des difficultés, notamment dans la rédaction de leurs règlements intérieurs.
La perception de la laïcité
Si la laïcité à la française a été pensée pour protéger les religions et permettre à chacun de pratiquer son culte sans être inquiété, «cet aspect-là est devenu complètement secondaire dans l’esprit des citoyens», décrypte Sandra Hoibian, du Credoc. Ainsi, 67% des Français attendent des pouvoirs publics qu’ils veillent, avant tout, à ce que les croyances et les pratiques religieuses des individus ne soient pas visibles dans les espaces publics plutôt qu’à protéger la liberté de ces croyances et pratiques (32%). n