Oignons roses d’Armorique, artichauts Camus du Léon, rhubarbes acidulées de Bretagne… Ces obscurs noms de légumes sont longtemps restés dans l’ombre de leurs cousins, mais s’apprêtent désormais à prendre davantage la lumière. L’enseigne de grande distribution française Carrefour, sixième groupe mondial de grande distribution avec un chiffre d’affaires de 85,7 milliards d’euros, a annoncé mercredi 20 septembre son intention de changer quelques règles du jeu de la vente de légumes à l’échelle nationale.
Le groupe français a en effet l’intention de commercialiser des légumes “interdits” dans une quarantaine de ses magasins situés en Bretagne et en Île-de-France. L’entreprise va vendre des légumes rares, qui ont disparu des grands circuits de distribution et qui ont poussé à partir de certaines semences paysannes interdites à la vente, en vertu du décret du 18 mai 1981. Une initiative qui devrait séduire les adeptes du bio et des produits qui ont du goût.
Des légumes “interdits” ?
Car le grand malheur de ces espèces de légumes, c’est qu’elles ne font pas partie du Catalogue officiel français des espèces et variétés potagères. Créé en 1932 et comprenant près de 9.000 variétés appartenant à pas moins de 250 espèces , il a pour but de clarifier et d’harmoniser les différents types de semence, afin qu’il n’y ait pas profusion de dénominations pour une même variété. Et pour avoir le droit de commercialiser des graines en France, il faut qu’elle soient inscrites dans ce catalogue. Pourtant, de la même manière que pour un dépôt de brevet, cette inscription a un coût pouvant varier entre 1.000 et 10.000 euros selon les variétés. Une somme souvent trop élevées pour des petits producteurs qui souhaitent cultiver ces légumes anciens.
Leur absence est surtout dû au fait que les légumes inscrits dans ce catalogue doivent répondre à certains critères d’homogénéité, tout en apportant aux consommateurs une certaine sécurité. Ils auraient cependant l’avantage de “résister mieux aux maladies et aux parasites”, ou d’avoir “une plus grande tolérance aux stress climatiques et une plus grande diversité de tailles, de formes de couleurs” d’après le Groupement national Interprofessionnel des Semences et plants (Gnis). Le Gnis soutient également que Carrefour “peut vendre toutes les variétés de légumes des paysans de la planète”, mais que le groupe doit cependant rester “attentif à respecter ses consommateurs et à ne pas les tromper sur ce qu’il vend”.
Protéger la biodiversité ?
L’avertissement du Gnis veut ici mettre en évidence la nécessité de ne pas transformer l’initiative en simple opération de communication. Et de la même manière, les deux groupements de producteurs bretons de légumes qui se sont engagés avec le distributeur français – Bio Breizh et Kaol Kozh – ont tenu à avoir quelques preuves avant de leur fournir les produits. Et Carrefour a accepté toutes leurs conditions, avant de signer un partenariat de cinq ans. A travers cette action, l’enseigne entend faire changer la loi et militer pour une plus grande biodiversité dans les rayons. Le distributeur français a également lancé une pétition sur le site Change.org et laConfédération paysanne s’est également empressée d’applaudir l’initiative au micro de RTL.
Derrière ce “marché interdit”, l’enjeu commercial reste tout de même bien présent. Comme il l’a souligné au Figaro, Philippe Bernard, le directeur des partenariats avec le monde agricole chez Carrefour, affirme ainsi que le groupe cherche à “élargir notre offre car nos clients sont demandeurs de produits sains et bio”. Aujourd’hui, 82% des français estiment important de développer la culture “bio”.