C’est presque la marque des romanciers du temps : à chaque sortie de livre son scandale familial. Quand on a cinq ou six cents concurrents à chaque rentrée littéraire, tous ou presque tournés vers la part de leur individu qui se situe entre le nombril et le haut des cuisses, il faut bien trouver un moyen de sortir du lot.
Ils sont ainsi nombreux à plagier Gide : « Familles, je vous hais ! »
Si cet écrivain à cheval sur le siècle dernier trouva là matière à nourrir son œuvre, c’est parce qu’il eut à affronter non seulement tabous religieux et interdits sociaux, mais aussi les deux guerres. C’est autre chose que ce qu’on trouve à l’actuel Panthéon des souffrances.
Qu’importe : pour exister, il faut aujourd’hui raconter son martyre, s’y vautrer dans le détail, quitte à traîner son entourage dans la boue des égouts.
Ainsi l’ineffable Yann Moix, notre célébrité de plateau télé, qui sort un nouvel opus intitulé Orléans. Comme la ville de son enfance où vivent encore ses chers parents. Si je dis « chers », c’est eu égard à ce qu’ils lui rapportent car, depuis quelques années, ils sont le lieu de sa nouvelle inspiration : je, me, moi, mon enfance, mon martyre. Ainsi, la saga commencée en 2006 dans son roman Panthéon se poursuit ici avec un raffinement certain dans l’horreur, nous dit-on : ce n’est plus de la maltraitance, c’est carrément de la torture.
Papa et maman Moix sont toujours là, honorablement connus de leurs voisins. Du moins jusqu’ici, car avec les défenseurs des bêtes qui circulent, je ne donne pas cher de leur peau quand les admirateurs du fils auront lu son livre…
Contrairement à d’autres médias courtisans de leur célèbre rejeton, La République du Centre est allée les interroger : « Alors, c’est vrai, vous l’avez torturé ? » (je résume). C’est José Moix, le père, qui répond longuement. Douloureusement.
Il reconnaît une certaine sévérité, monsieur Moix père ; une éducation à l’ancienne teintée de ses origines catalanes. Mais jamais, il l’assure, il ne s’est livré aux horreurs que lui prête son fils. Oui, il a donné quelques raclées, « comme cette fois où Yann a tenté de défenestrer son frère du premier étage. Ce jour-là, oui, il a eu la correction qu’il méritait, comme le jour où il a mis la tête d’Alexandre (son frère) dans les WC et a tiré la chasse d’eau. » L’enfant avait incontestablement des idées, dues peut-être à son état de « surdoué » incompris, hasarde le géniteur. « Je ne le nie pas, il a alors ramassé une bonne paire de claques. Mais il était un ado dur. Et peut-être qu’au fond, si j’avais été moins sévère, il n’en serait pas là où il est aujourd’hui, vu ses fréquentations de l’époque », dit-il.
Rien des sévices que Yann Moix décrit n’est vrai, assure le père. Et quand ses parents l’ont interrogé sur les allégations de violence qui alimentent son livre Panthéon : « Yann nous expliquait à l’époque que ce n’était qu’un roman, et qu’il n’y avait pas de quoi dramatiser. »
L’inflation est passée par là et, en douze ans, les sévices ont empiré. Fantasme ou vérité ? Les psys vous le diront, le propre du mythomane est de croire vrai ce qu’il raconte…
Au fil des émissions, Yann Moix a assuré que, tous les soirs, son père rentrait « complètement bourré » et « lui tapai[t] alors dessus à coups de fouet ou de fils électriques », puis déclaré qu’il le plaçait « à genoux devant [la] cheminée, et l’obligeai[t] à brûler lui-même ses livres et dessins en le frappant ». Cette fois, c’est sa mère qui l’aurait « poursuivi avec un couteau » avant qu’on ne l’oblige à « manger ses excréments ». « Prétendre cela relève de la psychiatrie, ce n’est pas possible ! », dit le père.
De deux choses l’une : ou ces gens-là sont d’épouvantables ordures ou bien leur fils est bon à enfermer. Il paraît que le génie rend fou… Yann Moix est-il un génie ?
Marie Delarue – Boulevard Voltaire