Deux jeunes Parisiens ont le projet fou de relancer, en s’appuyant sur les savoir-faire d’anciens ouvriers, un secteur dévasté par la mondialisation. Lui, Xavier Porot, est ingénieur. Elle, Priscille Demanche, est une jeune créatrice. Ensemble, ils ont fondé les marques Ellips et Bichette.
La chaussure de luxe était presque morte à Romans-sur-Isère depuis la fermeture de l’atelier Charles Jourdan et Stéphane Kélian. Deux jeunes Parisiens ont le projet fou de le relancer, en s’appuyant sur les savoir-faire inimitables d’anciens ouvriers. Romans-sur-Isère est une petite ville de la Drôme au pied du Vercors. Son abondance en eau a attiré les tanneurs et mégissiers dès le Moyen Âge. Et c’est naturellement autour de ce travail du cuir que la ville s’est spécialisée dans la fabrication de chaussures.
Mais aujourd’hui, comme dans beaucoup d’autres secteurs en France, la mondialisation a eu raison de cette industrie. Il ne subsiste à Romans qu’un tanneur (Roux, racheté par le géant du luxe LVMH) et quelques noms de la chaussure haut de gamme comme Robert Clergerie ou Laure Bassal. Les deux grandes marques emblématiques, Charles Jourdan et Stéphane Kélian, ont aujourd’hui complètement disparu du paysage drômois. Après plusieurs tentatives de redressement et des plans sociaux, leur dernier propriétaire, le groupe de distribution de chaussures Royer, a fermé leur atelier en février 2014.
Dans cette ancienne usine de salaison, dans une zone industrielle sans charme, Royer espérait redonner une impulsion à la chaussure de luxe made in Romans. En vain. Un an et demi plus tard, le bruit de la machine à coudre et du marteau se fait de nouveau entendre, sous l’impulsion d’un couple de trentenaires parisiens. Lui, Xavier Porot, est ingénieur. Elle, Priscille Demanche, est une jeune créatrice. Ensemble, ils ont fondé les marques Ellips et Bichette.
« Quand on a lancé nos marques, on voulait aller vers le made in France. On a cherché des usines de qualité pour produire de petites quantités en France, mais on s’est fait jeter. Alors, on est allés en Espagne, mais, là-bas, le système inhibe la créativité. Il faut travailler avec deux semelles seulement, deux gammes de cuir… » raconte Priscille Demanche. Ils ont donc eu cette idée : transformer l’atelier des vénérables Charles Jourdan et Stéphane Kélian en une plateforme pour jeunes créateurs baptisée Le Soulier français.
Depuis début août, ils proposent des services qu’on ne trouve plus en France (développement des produits, recherche de fournisseurs, logistique…) et bien sûr de la fabrication. Au total, l’investissement se chiffre à 500 000 euros. Les deux fondateurs ont référencé des centaines de fournisseurs pour pouvoir ajuster les coûts de production. Mais ils misent surtout sur le savoir-faire exceptionnel de leur équipe. D’où ce beau contrat : « On a repris des ouvriers de chez Jourdan et Kélian qui voulaient initialement se constituer en coopérative de production. Ils apportent leurs savoir-faire et, en échange, on va leur céder 20 à 30 % du capital », raconte Xavier Porot.
Dans l’atelier, ils sont tous là, excités comme des gosses, avec une telle envie de bien faire. Il y a Encarnation Sazio, 58 ans, au tressage. Elle a appris la technique chez Stéphane Kélian, LE grand spécialiste de la chaussure en cuir tressé, où elle est entrée à 17 ans. Au piquage, Boulos Bedraos impressionne par sa dextérité. Avec sa machine, il trace les coutures de la future chaussure à main levée ! Il a commencé à travailler à 8 ans au Liban, il a donc 50 ans d’expérience derrière lui. Igancio Zarcone, 27 ans chez Jourdan, est au montage, Gérard Perrat à la fabrication, et Christine Lebrat aux finitions.
Des créateurs, comme Fred Marzo, Gordana Dimitrijevic ou Amélie Pichard ont déjà confié tout ou partie de leur production au Soulier français. Et de grands noms du luxe ont manifesté leur intérêt, soucieux de vouloir apposer le précieux tampon Made in France sur leurs semelles. Des pistes qui aboutiront, espère Xavier Porot, se voyant déjà doubler la production d’ici cinq ans (à 40 000 paires par an) et embaucher plus de 40 personnes. « On était bien capitale de la chaussure passé un temps, pourquoi ne pas le redevenir ? » conclut, confiante, Encarnation Sazio.