Quand ils sont parisiens, Pierre Pinatel et sa femme Colette (qui fut conseiller régional FN de Picardie, puis conseiller municipal de Château-Thierry, puis maire adjoint de Trélou sur Marne) habitent un très joli appartement dans le Marais, plein d’objets curieux et de tableaux dont certains sont de l’arrière-grand-père de Pinatel, Joseph Cavasson. Ce peintre était très connu en Provence au XIXe siècle pour ses paysages et Pinatel, lui aussi, peint des paysages un peu impressionnistes, avec des ciels tourmentés. C’est une autre face de son talent. Ses débuts ? Tous les enfants aiment dessiner, mais on peut parler de vocation quand ils continuent en grandissant. Et puis : « Aucune école – Facebook me prétend à tort ancien élève d’une Ecole supérieure d’art graphique de Marseille. »
Il est vrai que Wikipedia fait de lui un « dirigeant important du mouvement monarchique » ce qui est tout aussi faux, même si Pinatel n’a pas d’apriorisme contre la monarchie.
— Quel fut votre premier dessin publié ?
— Il a paru, peu avant les années cinquante, dans le quotidien communiste La Marseillaise. C’était un portrait-charge d’une équipe de football.
— Et votre premier dessin à Paris ?
— Lui aussi récupéré par la gauche et inséré dans une affiche « Paix et liberté » du parti radical.
— On pouvait vivre du dessin de presse dans les années cinquante ?
— Difficilement. Même les « petits boulots » n’étaient pas aisés à décrocher. J’allais au siège de France Soir et je scrutais la page affichée des petites annonces. J’ai charrié des bourriches d’huîtres à la gare d’Austerlitz, j’ai été vendeur en librairie et, chez Gibert, j’ai été employé à la répartition des ouvrages dans les rayons et à l’expédition en province, travail instructif d’ailleurs. Ensuite, service militaire, à Vincennes, après quoi ma carrière a vraiment commencé au journal Dimanche matin. Le directeur, Roger Capgras, était mandataire aux Halles, ce qui suppose un sens des réalités qui contrebalançait ses idées socialistes et surtout utopistes. Il possédait également le Théâtre des Ambassadeurs. Mais, surtout, sa curiosité d’esprit, son absence de sectarisme lui avaient fait ouvrir les colonnes de son journal à des rédacteurs comme Rebatet, P.A. Cousteau, Pierre Ducros (de Radio Paris), ainsi qu’à un curieux personnage, Loustau, qui avait été correspondant de guerre sur le front de l’Est.
Pendant l’expédition franco-anglaise de Suez, très critiquée par un certain nombre de nationalistes, Roger Capgras avait acheté à l’Egypte, alors soumise à un embargo, un chargement d’oignons, pour aider Nasser (ces oignons que regrettaient les Hébreux dans le désert ?). Puis il y eut Aux Ecoutes, de Paul Lévy (certains juifs n’ont pas attendu Zemmour pour être de droite) et Combat, d’Henry Smadja, de tendance gauche anti PCF. Smadja était lui aussi assez anticonformiste pour avoir donné une chronique à Jacques Perret.
— En principe, Combat ne publiait ni photos ni dessins, mais… il fait une exception pour Pinatel.
— Dans les années cinquante et soixante, il y eut Le Charivari, de l’imprimeur Noël Jacquemard…
— Rivarol ?
— Non, il y avait Ben [son dessinateur, Benjamin Guittonneau]. En 68, Minute : Devay m’alloua une colonne qui devint une page, « Le pinateloscope », pendant des années.
Autre esprit libre, Galtier Boissière a repris des dessins de Pinatel dans Le Crapouillot et surtout dans les deux numéros du Dictionnaire des contemporains.
Dans le même temps, Pinatel faisait une démonstration de portraits du monde politique et du monde théâtral dans divers cabarets de Paris, tels que La Galerie, 55 rue de Seine, ou La Villa d’Este.
Pour chauffer la salle, les patrons de ces établissements ouvraient la porte gratuitement à des étudiants à condition qu’ils fissent « la claque », et c’est ainsi que Pinatel fut applaudi par sa future épouse sincèrement admirative.
Il faisait trois ou quatre cabarets par soirée, et n’oublions pas Le Bivouac du Grognard, d’Holeindre, où les dessins projetés sur un écran étaient suivis d’un tour de sébille, unique rétribution pour le dessinateur nécessiteux. Avec tout cela, les amendes pour offense au Chef de l’Etat ou pour d’autres motifs pleuvaient, ce qui fait de Pinatel le caricaturiste le plus poursuivi de la cinquième république.
De Gaulle avait écrit : « Les dessins de Pinatel sont à la fois drôles et mélancoliques comme la vie elle-même », ce qui n’empêche pas Pinatel, peu sensible à la flatterie, de garder contre le général une tenace rancune pour sa gestion dans la liquidation de l’Algérie – « Il a menti à tous, il s’est disqualifié. »
Aujourd’hui, le site www.dessins-de-pinatel.fr est regardé par 50 000 personnes et a 12 000 abonnés (ce qui d’ailleurs ne rapporte pas un sou au dessinateur), toute l’actualité politique et les faits de société y étant traités avec la même verve inépuisable qu’on retrouve dans ses albums, tels que Du bruit dans le Hollandernau et bien d’autres.
— Le dessin numérique a-t-il modifié votre technique ?
— Les traits fins passent mal, donc pas de plumes fines, à part ça c’est pareil. J’ai toujours utilisé la plume, le pinceau, le Pentel, voire la plume sergent-major et l’aquarelle pour la couleur. Les jeunes dessinateurs chargent « l’ordi » de coloriser tout seul leurs dessins, en attendant qu’il les compose et les exécute lui-même, je suppose.
A propos des jeunes, Pinatel reconnaît que le dessin satirique, moribond dans la presse nationale, un peu moins dans la presse régionale, ne leur offre pas un grand avenir. Mais il y a la bande dessinée, où se retrouvent d’excellents dessinateurs qui sauvent des scénarios en général médiocres, et qui marche fort bien malgré la surabondance de la production.
Que Pinatel continue longtemps à produire ses dessins d’un style si personnel que certains, peu perspicaces, ont parfois qualifié de vulgaires, comme ils pouvaient le dire des dessins de Dubout, mais qui sont toujours truculents et amusants.
Propos recueillis par Chard – Présent