Nostradamus, poète et charlatan!

En janvier 1560, soit à l’époque du succès de Nostradamus et six mois après le décès d’Henri II aux Tournelles, une ordonnance royale tente de réglementer la publication des prédictions qui se font « contre l’exprès commandement de Dieu, chose qui ne doit être tolérée par princes chrétiens » : « Nous défendons à tous imprimeurs et libraires, à peine de prison et d’amende arbitraire, d’imprimer ou exposer en vente aucun almanach ou pronostication, que premièrement n’ait été visité par l’archevêque ou évêque, ou ceux qu’il commettra. »

Comme le note le juriste Boucher d’Argis, « il est assez extraordinaire de voir Charles IX, fils d’une femme [Catherine de Médicis] qui porta jusqu’à l’enthousiasme le goût d’une science aussi ridicule que l’astrologie judiciaire, défendre [condamner] les pronostications » (Ordonnance de Charles IX donnée à Orléans au mois de janvier 1560, Paris, 1786, tome XI, p. 38). Cependant, la chose s’explique lorsqu’on sait que « l’ordonnance fut moins l’ouvrage du souverain que celui des Etats et du chancelier de l’Hospital ». Pour Boucher d’Argis, homme du XVIIIe, l’ordonnance s’explique plus par des raisons politiques que religieuses : « On sentit combien il était important, surtout dans un siècle peu éclairé, de ne pas laisser entre les mains du peuple des prédictions qui, malgré leur absurdité, pouvaient échauffer les esprits, et devenir une arme dangereuse dans la main des chefs de parti. »

Un préfacier équivoque
Préfacier des « fards et confitures », Nostradamus est un prosateur lisible. Aussi ses préfaces des Centuries (1555, préface à son fils nouveau-né César ; 1558, préface à Henri II) surprennent-elles par leurs phrases entortillées et vaseuses. Certainement Nostradamus a-t-il voulu en noyant le poisson se prémunir des ennuis éventuels qui pourraient naître d’une telle publication et en imposer à ses lecteurs : un texte peu compréhensible est, de nos jours encore, volontiers considéré comme une preuve de sérieux.

prophetie

Début de la Ire Centurie dans l’édition de 1566.

Nostradamus met en garde son fils contre l’astrologie qui relève de la magie et l’assure pratiquer une astrologie parfaitement « orthodoxe » : « Et aussi mon fils, je te supplie que jamais tu ne veuilles employer ton entendement à telles rêveries et vanités qui sèchent le corps et mettent à perdition l’âme, donnant trouble au faible sens : même la vanité de la plus qu’exécrable magie réprouvée jadis par les sacrées écritures, et par les divins canons – au chef desquels est excepté le jugement de l’astrologie judicielle : par laquelle, et moyennant inspiration et révélation divine par continuelles supputations, avons nos prophéties rédigées par écrit » (Préface de 1555, 27-28).

Astrologie autorisée ? Plus exactement tolérée. Elle était qualifiée de « judiciaire » (« judicielle » ici) parce qu’elle était supposée révéler les jugements de Dieu, et en avertir. « Aux états généraux de 1614, on a distingué soigneusement une “magie” licite, celle des astrologues et devins ordinaires, de la sorcellerie criminelle », écrit René Pillorget (France baroque, France classique, « Bouquins », 1995, t.I, p. 392). C’est cette distinction que fait Nostradamus. En fait, l’Eglise admet que les astres puissent influencer les humeurs, incliner à telle ou telle disposition, mais elle enseigne que cette influence « ne peut en aucun cas empiéter sur le libre arbitre », écrit René Pillorget.

Dans sa longue préface, Nostradamus explique encore à César qu’il a brûlé plusieurs vieux volumes de « cette occulte philosophie » restés cachés pendant des siècles, non sans les avoir lus auparavant : « … j’en ai fait après la lecture présent à Vulcain. Tandis qu’il les venait à dévorer, la flamme léchant l’air rendait une clarté insolite, plus claire que naturelle flamme, comme lumière de feu d’éclair fulgurant, illuminant subtil la maison comme si elle fut été en subite conflagration ». Etonnante scène ! Ne retrouvons-nous pas là un aspect de Nostradamus, celui du bonimenteur qui place, là sa recette du philtre d’amour, ici la mystérieuse flamme dévorant des ouvrages non moins mystérieux ? Il faut bien appâter le chaland et le XVIe siècle n’en manquait pas, de lecteurs attirés par d’horribles prophéties et de catastrophiques prédictions enveloppées de manifestations paranormales – tant qu’à faire ! En matière d’horreur, Nostradamus y allait à la louche :

Faim, feu, sang, peste, et de tous maux le double.

Ce vers (VIII, 17) n’est qu’une énième variante d’un thème que le voyant chérissait… et ses lecteurs aussi.

Samuel Martin – Présent

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