Boucherie végétarienne. Un paradoxe? Non, vous avez bien entendu. Dans ce commerce se mêlent joyeusement du bœuf, du poulet, des lardons… sans viande. Venant d’ouvrir tout récemment à Paris, cette boucherie surfe sur la vague des produits “simili-carnés” (substituts de viande), préparés la plupart du temps à base de soja ou de froment et censés séduire les végétariens mais également les “flexitariens”, ces personnes qui ne veulent pas arrêter de manger de viande mais qui souhaitent avoir une consommation plus raisonnable.
Philippe Conte et Isabelle Bensimon, les propriétaires du commerce, travaillaient auparavant dans la téléphonie mobile et se sont mis à la recherche d’un concept porteur. C’est en 2012 que tous les deux ont eu l’idée de se lancer dans les produits simili-carnés. “Isabelle est végétarienne, je mangeais de la viande tous les jours”, raconte Philippe Conte au HuffPost. “Nous étions chez un ami au Pays-Bas, qui nous a fait manger ce que nous croyions être de la viande (Isabelle n’avait pas refusé par politesse) mais qui était en fait des produits simili-carnés. Nous avons tous les deux adoré. Et nous nous sommes dit: ‘il faut absolument faire venir ce concept en France!'”
C’est ainsi que fin mai, la “Boucherie végétarienne” a établi ses quartiers à proximité du marché d’Aligre. Une position stratégique car selon Philippe Conte, “ceux qui viennent faire leur marché sont déjà dans une certaine démarche alimentaire”.
Le goût, l’odeur, l’aspect de la viande
Dans leur frigo, tout a le goût de la viande, tout sent la viande, mais rien n’en est. Les produits sont même vendus sous le nom d’escalope, saucisse, lardons…
Le concept, original, n’est néanmoins pas tout neuf. A Paris, la “Boucherie” vient notamment faire concurrence à M.O.B., qui a ouvert ses portes en 2013 et dont le fondateur, Cyril Aouizerate avait senti l'”engouement pour la bouffe végétarienne”. Dans ce restaurant que Cyril Aouizerate ne voit pas comme un fast food, les burgers ont également l’air de steaks, les nuggets ont l’air d’être fait de poulets mais sont composés de pleurotes et ainsi de suite.
Dans d’autres pays, ces substituts de viande font d’ores et déjà partie du paysage. En Allemagne, les ventes de produits simili-carnés auraient triplé entre 2009 et 2012. Dans les rayons des supermarchés du pays, on trouve sans aucun souci des saucisses ou des escalopes qui, si cela n’était pas précisé, pourraient être prises pour de la viande. Des marques de viande comme Vion Food ont même lancé une gamme de substituts sous le nom Vegetaria.
Aux Etats-Unis, la start-up”Beyond Meat” connaît son petit succès. Un récent article sur Rue89 vantait même avoir trouvé “le steak parfait”. Le patron de la boîte, Ethan Brown, ne tarit pas d’éloges sur sa création: “Plus d’oméga 3 que le saumon, plus de calcium que le lait et plus d’anti-oxydants que les myrtilles. En plus de cela, il favorise la récupération musculaire. C’est de loin le steak le plus parfait.” Quand le journaliste lui demande comment est reproduit le goût de viande, il répond “c’est de la viande”. Sur le New York Times, un chroniqueur culinaire ayant pu goûter leur simili-poulet a cru, lui, qu’il s’agissait vraiment de viande.
Ce poulet, Marina Privé, qui écrit sur les modes de vie durables (cosmétiques bio, cuisine végétale, mode éthique, bouquins et bonnes adresses) sur Le Blog Bleu, a eu la chance le tester. “Le packaging est moderne, l’odeur et la texture sont carrément bluffantes. Une fois sorti de la boîte, le produit se présente sous forme de lamelles pré-grillées, à manger froides ou à réchauffer à la poêle”, explique-t-elle tout d’abord. Après l’avoir cuisiné, celle-ci trouve que “au goût, c’est délicieux: croustillant à l’extérieur, et tendre à l’intérieur. La ressemblance est troublante, même si j’ai trouvé ça un peu moins sec que la chair de poulet grillée”. Et même que “c’est clairement le meilleur simili-carné que j’ai jamais mangé, il est même meilleur que le ‘vrai’ poulet!”
Parmi les autres initiatives qui surfent sur la même vague, sans exhaustivité, on peut citer le burger végétarien saignant fait à base de plante par le biologiste et physicien d’Impossible Food, Patrick Brown. Celui-ci a l’apparence de la viande, sent comme la viande, a le goût de viande, et saigne même comme de la viande. Pas plus tard que cette semaine, certains scientifiques mettaient au point une algue rouge ayant le goût de bacon.
Mais les produits simili-carnés ont surtout commencé à faire parler d’eux, en France, lorsque le néerlandais Jaap Korteweg a lancé son concept de “Boucher végétarien”, semblable à la boucherie qui vient d’ouvrir ses portes à Paris.
Cible n°1 : les “flexitariens”
Comment expliquer ce phénomène et pourquoi parier sur son succès grandissant? Le nombre de végétariens en France a légèrement augmenté, mais pas tant que ça. Selon un sondage réalisé en 2012 par OpinionWay, ils représenteraient seulement 3% de la population. Mais ce n’est pas uniquement aux végétariens que s’adressent ces substituts de viande, bien au contraire.
Philippe Conte l’affirme, leur première cible, ce sont les “flexitariens”. Le flexitarisme, néologisme qui vient des Etats-Unis, est, selon lui, “une volonté d’avoir une consommation raisonnable”, plus consciente de différents enjeux, environnementaux par exemple (l’élevage industriel est l’une des causes les plus importantes du réchauffement climatique). Selon le sondage d’OpinionWay, plus d’un quart (27%) des omnivores seraient prêts à devenir flexitariens. C’est-à-dire à tendre vers une alimentation végétarienne sans renoncer pour autant à une escalope ou à un steak de temps à autres. Il semble que ce soit également pour cette population que les simili-carnés aient commencé à fleurir en Allemagne également: “en réalité la plupart de nos clients ne sont pas véganes à 100% et ne veulent pas bouleverser leur mode d’alimentation, ils veulent des produits qui ressemblent à ce qu’ils connaissent déjà”, expliquait en 2013 Jan Bredack, fondateur d’une chaîne de supermarchés vegan.
Par ailleurs, les végétariens le sont pour différentes raisons, la plus importante d’entre elles n’étant pas le dégoût pour la viande – elles peuvent être éthiques, environnementales, de santé, etc. Il est donc normal que certains d’entre eux aient envie de retrouver le goût de la viande. “Je ne suis pas devenue végétalienne parce que je n’aimais pas la texture ou le goût de la viande, mais pour des raisons militantes, bien plus réfléchies. Les simili-carnés sont plus écologiques, meilleurs pour la santé et bien sûr, ne causent pas de souffrance aux animaux. Je n’ai donc pas à rougir de vouloir manger un hamburger de soja ou une paupiette de seitan!”, soulignait Marina Privé sur son blog.
Autre argument avancé par Philippe Conte, le fait que ces produits représentent une “laïcité ouverte” et qu'”aucun interdit” ne peut retenir quiconque d’en manger. Dans son magasin à Paris, il a déjà pu voir des personnes de différentes religions venir consommer des produits qu’ils ne mangent pas en temps normal.
Enfin, les différents scandales alimentaires ont changé la donne. La présence de viande de cheval dans des lasagnes de Findus, entre autres, a aiguisé l’attention des consommateurs, qui veulent savoir ce qu’ils ont dans leur assiette. “Le phénomène était très marginal en France il y a 20 ans, mais nous pensons qu’il va s’ancrer et se développer dans la société. Les gens ont compris l’importance de la qualité de l’alimentation et de la durabilité des produits”, explique à l’AFP Stéphane Walrand, chercheur en nutrition humaine à l’Institut national de la recherche agronomique. C’est l”une des préoccupations de l’un des clients de la Boucherie Végétarienne:
Les substituts de viande pourraient donc avoir de beaux jours devant eux. Vous avez d’ailleurs certainement dû remarquer dans les rayons de vos supermarchés certains produits qui ne sont pas des simili-carnés mais qui s’installent en alternative à la viande, comme c’est le cas des produits de Sojasun ou de Tartex