La nouvelle est tombée vers 10 h ce vendredi 20 juin : le rapporteur public du Conseil d’État, Rémi Keller, a préconisé la mort de Vincent Lambert (cf. rappel des faits ci-dessous), suite à quoi le Conseil d’État a mis sa décision en délibéré à mardi ou mercredi prochain. Ainsi, soit l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert seront stoppées, entraînant une mort d’ici trois à cinq jours, soit il continuera de vivre.
Il est donc plus que probable que, en dépit de l’avis contraire des parents, d’une sœur et d’un demi-frère de Vincent Lambert, ce dernier soit tué. C’est ainsi en France : un bien en indivision ne peut être vendu si un seul des indivisaires s’oppose à la transaction. En revanche un patient peut-être euthanasié même si plusieurs membres de sa famille s’y opposent.
Les dépêches officielles se sont bien gardées de parler d’euthanasie, déclarant pudiquement que le rapporteur du Conseil d’État s’était « prononcé contre le maintien en vie » de Vincent Lambert. Ne pas maintenir en vie, n’est-ce pas tuer ?
La décision prise autour de Vincent Lambert est historique et fera évidemment jurisprudence. Il semble donc que désormais en France, un patient nourri par sonde gastrique est victime d’obstination déraisonnable. De fait, Vincent Lambert n’est pas, contrairement à l’image que la grande presse a véhiculée, branché à d’innombrables machines. Il est dépendant des autres uniquement pour l’alimentation et l’hydratation. Comme un bébé en somme… Mais, selon l’interprétation faite par la justice de la loi sur la fin de vie de 2005, boire et manger peuvent n’être pas considérés comme des soins dus à toute personne mais comme des soins médicaux susceptibles d’être interrompus au nom du refus de l’acharnement thérapeutique. « Alimentation et hydratation sont des “soins” selon le Conseil d’État. Ce soir je paye mes courses avec ma carte Vitale », note, cynique, un internaute en apprenant la décision de Rémi Keller.
Ses avocats avaient fait valoir que le cas de Vincent Lambert n’entre pas dans le cadre de loi Leonetti car il n’est pas mourant et qu’« aucune urgence ne préside à l’arrêt des soins ». Sa situation relève d’un « handicap » et non d’une « maladie cérébrale incurable ». Et pourtant, le jeune homme sera très certainement mis à mort – car il faut bien appeler un chat un chat – pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait. Aux yeux de la justice française, sa vie ne vaut pas d’être vécue. Aujourd’hui en France, quelque 1500 personnes sont en état pauci-relationnel. Qu’adviendra-t-il d’eux ? Seront-ils les prochains condamnés à mort par la justice française qui se substitue désormais à la médecine et s’apprête à faire voler en éclats le serment d’Hippocrate ?
Rappel des faits
29 septembre 2008 : Vincent Lambert est victime d’un accident de la route et sombre dans un coma profond qui évoluera progressivement en état de conscience minimale dit « pauci-relationnel ». Aujourd’hui, six de ses frères et sœurs, son épouse et son médecin réclament l’arrêt des soins tandis que ses parents, un demi-frère et une sœur s’y opposent fermement.
Juin 2011 : Le Coma Science Group du CHU de Liège fait un bilan de santé de Vincent Lambert et conclut à un état de «conscience minimale consolidé» sans espoir d’amélioration.
En 2013, l’équipe médicale du CHU de Reims, où est hospitalisé Vincent Lambert depuis cinq ans, indique avoir noté des oppositions aux soins, faisant suspecter un refus de vivre.
8 avril 2013 : Les praticiens, menés par le Dr Eric Kariger, décident l’arrêt de l’alimentation artificielle et le maintien d’une hydratation faible sur Vincent.
9 mai 2013 : Les parents de Vincent Lambert déposent une requête devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin que la sonde d’alimentation soit rétablie. Ils reprochent au CHU de ne pas les avoir informés de la démarche et donc de ne pas avoir pris compte de leur avis.
11 mai 2013 : Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonne le rétablissement de l’alimentation artificielle de Vincent Lambert.
Septembre 2013 : Une nouvelle procédure d’arrêt des traitements est lancée. Quatre experts sont désignés pour prendre la décision.
11 janvier 2014 : Le CHU de Reims arrête les traitements de nutrition et d’hydratation artificielles de Vincent Lambert.
16 janvier 2014 : Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne suspend la décision des médecins du CHU de Reims et ordonne de maintenir l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert estimant que « la poursuite du traitement n’était ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d’interrompre le traitement ».
28 janvier 2014 : Rachel, la femme de Vincent Lambert, décide de faire appel auprès du Conseil d’État contre le « maintien en vie artificiel » de son mari.
6 février 2014 : Le Conseil d’État repousse la décision, estimant l’affaire Vincent Lambert trop complexe pour être tranchée par un seul juge, et statuera donc en formation collégiale et après une nouvelle expertise médicale. Le Conseil juge néanmoins que la loi Leonetti de 2005 « s’applique à des patients qui, comme Vincent Lambert, ne sont pas en fin de vie » et « que l’alimentation et l’hydratation artificielles constituent, au sens de cette loi, un traitement qui peut être interrompu en cas d’obstination ».
13 février 2014 : Le Conseil d’État décide de faire appel à un collège de trois experts (Prs Marie-Germaine Bousser, Lionel Naccache, et Jacques Luauté) pour faire un bilan de l’état de santé de Vincent Lambert et juger du caractère irréversible ou non de ses lésions, de sa capacité ou non à entrer en relation avec son entourage, d’éventuels signes pouvant traduire son désir de poursuivre ou non les traitements.
14 février 2014 : L’Académie nationale de médecine (ANM), le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) sont saisis par le Conseil d’État pour donner un éclairage sur les questions de l’obstination déraisonnable et du maintien artificiel de la vie.
7 au 11 avril 2014 : Les experts nommés par le Conseil d’État procèdent aux examens pour établir le bilan de santé de Vincent Lambert.
6 mai 2014 : Les trois experts rendent un premier rapport sur la santé de Vincent Lambert dont les lésions sont jugées irréversibles et dont l’état de conscience s’est dégradé depuis 2011. Le patient est jugé incapable de communiquer.
15 mai 2014 : L’ANM rend un avis ambigu sur la fin de vie qui prend parti contre l’euthanasie et le suicide assisté mais émet l’hypothèse de la possibilité de la sédation terminale qu’elle ne récuse pas pour peu qu’elle soit faite dans de bonnes conditions d’accompagnement et d’informations.
20 juin 2014 : Le rapporteur du Conseil d’État Rémi Keller préconise « l’arrêt du maintien en vie de Vincent Lambert ».