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Par Samuel
L’abbaye Saint-Maurice d’Agaune, nichée dans le Valais, fêtera en 2015 les 1 500 ans d’une vie monastique jamais interrompue. Les travaux et restaurations préparatoires à cet événement expliquent le voyage d’une partie de son trésor.
L’album Mazenod L’Art roman en Suisse (publié à Genève en 1943), avec ses planches de qualité, montre deux ou trois pièces du trésor d’Agaune. Il laisse deviner sa richesse romane, mais pas l’étendue chronologique des merveilles qu’il recèle, du VIe au XVIe siècle.
L’histoire du monastère a commencé en 515 et est un de ces témoignages, toujours émouvants, de la continuité historique entre l’Empire et la chrétienté avec l’apport barbare et malgré les persécutions. Saint Maurice et ses compagnons de la légion thébaine, chrétiens d’Egypte, sont martyrisés en 277. Ils ont refusé de sacrifier aux idoles. L’empereur Maximien a d’abord décimé la légion (un soldat sur dix), réitéré l’ordre ; nouveau refus des soldats, massacre des neuf dixièmes restant…
Le 22 septembre 515, Sigismond, roi des Burgondes converti au christianisme, fonde l’abbaye et saint Avit prononce une homélie. Il y parle de la spécificité de la vie monastique qui va être pratiquée à Agaune : louange perpétuelle, sans travail manuel. Le texte de l’homélie est conservé dans un manuscrit datant du VIe siècle. Ce n’est pas de l’or, ni des pierreries, juste un papyrus mais un trésor tout de même, tout comme les remplois antiques trouvés dans la maçonnerie de l’église et de l’abbaye. Des murs mérovingiens, les fouilles ont extrait des autels, l’un consacré aux nymphes celtiques de la source, l’autre au dieu Sedatus ; ou encore l’autel funéraire d’Acaunensia, fille d’Amarante et d’Hirondelle.
Une stèle funéraire livre le nom d’un des premiers moines : « Sous cette épitaphe repose le moine Rusticus de bonne mémoire. » C’est un prénom encore païen, mais le décor est chrétien : deux oiseaux affrontés boivent dans une coupe.
Des reliques réputées
Les reliques des martyrs thébains attirent de hauts personnages. Les chartes du Xe siècle le disent, signées du roi de Bourgogne Conrad le Pacifique ou de son fils Rodolphe III. L’abbaye est richement dotée. Les pièces d’orfèvrerie le prouvent : vase de saint Martin, constitué d’une monture du VIe siècle sur un vase romain du Ier siècle avant Jésus-Christ ; aiguière de Charlemagne (IXe siècle) ; coffret reliquaire de Teudéric (VIIe siècle). « Le prêtre Teudéric le fit faire en l’honneur de saint Maurice. Amen », dit l’inscription, qui ajoute : « Nordoalaus et Rihlindis ordonnèrent de le fabriquer. Undiho et Ello le firent. » Encore des prénoms exotiques.
Au XIIe siècle, le comte Amédée III de Savoie réforme l’abbaye, la règle des chanoines de saint Augustin est adoptée. De cette époque date le magnifique reliquaire de saint Candide (illustration). Saint Candide était un des cinq porte-enseignes de la légion thébaine. Son martyre est figuré sur le socle. Son âme, sous la forme d’un enfant nu, est accueillie au ciel par un ange.
En 1262, saint Louis fit don à l’abbaye d’Agaune d’une Sainte Epine présentée dans un très beau reliquaire (or, argent, perles, émeraudes, rubis…), conservé ainsi que la lettre l’accompagnant. Le roi remerciait ainsi le père abbé d’Agaune de lui avoir apporté la même année des reliques des martyrs thébains, pour lesquelles saint Louis fit construire le prieuré Saint-Maurice, à Senlis (en partie détruit à la Révolution).
A signaler : les moines actuels ne considèrent pas ces reliquaires comme des pièces de musée. « Les reliquaires sont des écrins, l’important, c’est ce qu’ils renferment », a rappelé Mgr Roduit, abbé de Saint-Maurice. Avant l’ouverture de l’exposition, une vénération des reliques a été organisée à Notre-Dame de Paris. L’exposition ne gomme pas le caractère sacré du trésor, c’était une des conditions du prêt. En plus des reliquaires, sont exposées des étoffes orientales des VIe-VIIIe siècles dans lesquelles étaient enveloppées des reliques, ainsi que des « authentiques » de la même période : ce sont de petits parchemins joints aux reliques pour les identifier et les authentifier.
Le trésor de l’abbaye d’Agaune était connu des spécialistes. Il l’est maintenant du public, il était temps… Le grand art défie les siècles. Quand il est chrétien, les millénaires.
• Le Trésor de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune. Jusqu’au 16 juin 2014, musée du Louvre.
Message de Mgr Roduit pour les 1 500 ans de l’abbaye [/]
« Quinze siècles de fidélité, de louange perpétuelle célébrée en ces murs à la mémoire des martyrs de la légion thébaine ! Au compte du temps qui passe, il y aura 547 875 jours, le 22 septembre 2015, que notre abbaye n’a jamais fermé ses portes. Veilleur humble et fragile dans un monde en continuelle mutation, l’abbaye de Saint-Maurice est le témoin vivant et vivace, à travers l’histoire, de la vitalité, de l’actualité du message chrétien. » (Extrait.)
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