Né à Bordeaux en 1875, Marquet a vécu à Paris et posé son chevalet en Italie, en Allemagne, au Maroc, en Algérie… et sur les côtes françaises du Sud et de l’Ouest. Grand paysagiste, il a voulu « peindre comme un enfant sans oublier Poussin » – donnant sa propre tonalité à la phrase de Cézanne, « faire du Poussin sur nature ».
Vue du port du Havre (Le Quai de Notre Dame), vers 1911. Huile sur toile, 65 x 81 cm.
Fondation Collection E.G. Bührle, Zurich.
© ADAGP, Paris 2016 / Fondation Collection E.G. Bührle, Zurich / ISEA
Après quatre ans passés à l’Ecole nationale des arts décoratifs, Marquet entre aux Beaux-Arts dans l’atelier de… Gustave Moreau. Décidément, ce dernier est omniprésent ce printemps, par l’intermédiaire de ses élèves : Georges Rouault (au musée Gustave Moreau), George Desvallières (au Petit Palais), et maintenant Marquet. Cette postérité montre quel professeur et quel homme intéressant il était, surtout lorsqu’on sait que parmi ses élèves on trouvait aussi Matisse, Flandrin, Camoin. En germe, une génération d’amis et de peintres figuratifs qui tiendront le cap.
Peu d’événements dans la vie de Marquet. A part des voyages et des déplacements, sa vie est peinture et expositions européennes. Quelques toiles de sa jeunesse témoignent de la vie d’atelier, avec de très beaux nus aux tons chauds (Nu dans l’Atelier Moreau, 1898). Le Sergent de la coloniale (1906-1907) ou Le 14 juillet au Havre (1906) sont des échos thématiques et picturaux de Van Gogh, nettement. Mais, sans tarder, Marquet écarte tout ce qui n’est pas son sujet, et son sujet est la lisière de l’eau et de la terre : les côtes et les ports d’un peu partout, les rives de Paris. Sa manière est large : grandes perspectives ouvertes, abolition des détails dans un sujet qui en lui-même en a peu. Notre maître Albert Gérard goûtait chez Marquet cette largesse de la brosse qui était aussi la sienne, et qui a influencé l’Américain Edward Hopper (cf. Présent du 10 novembre 2012).
Pas de détails
Ces caractéristiques se retrouvent, qu’il peigne de belles toiles normandes où il refait le chemin impressionniste (Sainte-Adresse, le port du Havre, de Fécamp), de belles toiles napolitaines, ou de belles toiles algériennes. Il fréquente l’Algérie dès le début des années 1920 et se réfugie pendant la Seconde Guerre à Alger, où il peint une riche série qui est celle de la maturité : Le Port d’Alger embrumé, Port d’Alger – Fumées dans le port (bel horizon oblique)…
Si, en voyage à Tanger, Marquet écrit à Matisse en 1911 : « Je ne serai jamais orientaliste », c’est manière de dire qu’il ne se laissera pas spécialiser géographiquement, préférant vagabonder et peindre jusqu’aux ports nordiques, et qu’il ne succombera pas à une vision touristique en ajoutant çà et là un détail exotique – lui qui déteste les détails. Et comme Gauguin ne peint pas foncièrement différemment en Bretagne et à Tahiti, Marquet peint dans la même pâte et de la même brosse le port de Hambourg sous la pluie (1909) et celui de Bougie ensoleillé (1925).
Marquet a exposé dans la salle « des Fauves » en 1905. Mais en est-il un ? Il a été tenté par la couleur pure mais, sensible à la subtilité des tons, il ne l’a jamais vraiment utilisée qu’en passant. Ses couleurs sont baissées d’un ton, il fait jouer des couleurs tendres avec des noirs et des terres pour trouver la juste atmosphère des paysages aquatiques sans tomber dans le mou ou l’indifférencié. Les longues lignes des ports et des quais sont là pour nous rappeler au solide. Les deux toiles qu’il peint au Pyla (1935) sont comme des aquarelles, et par leur fluidité, et par leur fraîcheur.
Un peintre de Paris
Marquet a vécu quai de la Tournelle, quai des Grands-Augustins, quai du Louvre, quai Saint-Michel, puis au 1 rue Dauphine, c’est-à-dire à l’entrée du Pont-Neuf. Il est toujours à quelques mètres de la Seine, en surplomb, intéressé par une péniche, un pont, une crue, ou tout simplement les quais fuyant droit ou courbe.
Comme son contemporain le paysagiste Pierre-Jacques Pelletier (1867-1931), Marquet (1875-1949) aime son Paris dans toutes les lumières, même les moins engageantes. Le soleil d’hiver et le ciel plombé sont à égalité devant sa palette. La série des « Notre-Dame sous la neige » (hiver 1808-1909 pour l’essentiel ; il en a peint d’autres après) n’a plus rien de fauve ou alors c’est un ours blanc. Cette neige âpre et qui fait ressortir la saleté des murs parisiens n’a rien d’impressionniste non plus – neige à la Vlaminck, plutôt. Ce sont les seules toiles froides de Marquet dont l’œuvre, globalement, respire une sérénité profonde. Non, il n’a pas oublié Poussin.
Albert Marquet, peintre du temps suspendu. Jusqu’au 21 août 2016, musée dArt moderne de la ville de Paris.
Ineptie
Ne privons pas nos lecteurs d’une brillante démonstration artistico-politique de Limore Yagil (Au nom de l’art, 1933-1945, Fayard) : « Le 3 juillet 1943, le général de Gaulle a “honoré la pensée et l’esprit français en recevant une toile d’Albert Marquet”, selon l’Echo d’Alger. Les toiles du peintre ont également été achetées par Vichy. C’est donc que son œuvre correspondait à la fois à l’esprit de la Révolution nationale et à celui de la Résistance ». CQFD en effet.
Samuel MARTIN – Présent
Illustration: vue de Notre Dame sous la neige, vers 1928. Huile sur toile, 81 x 65 cm.
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Dépôt au Musée Carnavalet – Histoire de Paris Achat Ville de Paris, 1936.
© ADAGP, Paris 2016 / Musée d’Art moderne / RogerViollet