Velasquez au Grand Palais!

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Diego Velasquez (1599-1660) est l’exact contemporain de Nicolas Poussin (1594-1665). Mais quelles différences entre eux! Velasquez fait sa carrière à la cour de Philippe IV, tandis que Poussin fuit les intrigues des Tuileries. Velasquez peint vite, par principe et parce que sa charge ne lui laisse que peu de disponibilité, alors que Poussin laisse sa toile arriver à maturité. Pour mieux comprendre deux talents aussi différents, c’est une chance que Paris accueille simultanément, et Poussin  et Velasquez.

Diego Rodriguez de Silva y Velasquez se forme à Séville dans l’atelier de Francisco Pacheco. A l’issue de son apprentissage, il est reçu dans la corporation des peintres de la ville et il épouse la fille de son maître. Pacheco était un bon peintre, comme le prouvent les petits tableaux représentant sainte Juste et sainte Rufine, patronnes de Séville, ou le grand tableau de l’Immaculée Conception. Mais Velasquez était incomparablement plus doué. Lorsqu’on compare L’Education de la Vierge de Juan de Roelas, toile molle et sirupeuse, et la version qu’en donne Velasquez, autrement charpentée, on voit que le peintre qui n’a pas vingt ans surpasse les aînés. Et cela bien que le tableau de Velasquez, découvert récemment, se présente « mutilé et ruiné ». La patte est indélébile.

Œuvres de jeunesse encore, les scènes de genre mêlées de nature morte – La Mulata, Scène de taverne – se signalent par leur réalisme. Ou doit-on dire leur proximité ? Les objets sont palpables « comme s’ils allaient parler » et, en effet, leur présence nous parle. L’inspiration caravagesque n’est pas loin. Velasquez découvre cette nouvelle esthétique à Séville et à Madrid, où il tente une première fois sa chance à la cour. Son Saint Thomas répond aux apôtres de Ribera, son Saint Pierre pénitent aux toiles de Luis Tristan, de Juan Bautista Maino. Là encore, il est au-dessus de tous. Sa forme n’est pas dictée par une beauté idéale « à l’italienne », ni par un conformisme naturaliste. Elle est la forme que prend l’idée de Velasquez au contact du réel.

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Voyages en Italie

A l’âge de 24 ans, Velasquez obtient le titre de peintre du roi. En 1629 il sympathise avec Rubens, de passage à Madrid pour raisons artistiques et diplomatiques. Le Flamand est vraisemblablement à l’origine du voyage de Velasquez en Italie, d’août 1629 à la fin de l’année 1630. Il passe par Milan, Venise, Rome (il y reste une année) et Naples. Durant son voyage, on le suspecte plus ou moins d’être un espion de Philippe IV, mais il est peintre avant tout. C’est à Rome qu’il peint deux tableaux complémentaires : la célèbre Forge de Vulcain, lequel tableau écrase Jacob recevant la tunique de Joseph qui est pourtant fort beau aussi. Le sujet mythologique et le sujet biblique ont en commun d’être l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

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La Forge de Vulcain est un inépuisable chef-d’œuvre. Sa composition est parfaite. Des natures mortes ponctuent le jeu des personnages : durs outils posés au sol, délicate faïence blanche posée sur la cheminée. Elle a, de plus, des réminiscences et des présages innombrables, conscients ou inconscients, réels ou dus au hasard. La toge orange que porte Apollon pourrait habiller une figure de Poussin – il habitait Rome à ce moment-là, se sont-ils rencontrés ? La scène de forge se retrouvera chez Le Nain, avec des similitudes troublantes (sauf que Vénus y remplace Apollon, 1641). Un air de parenté, sans que rien ne permette d’établir que les Le Nain ait vu un jour le tableau de Velasquez.

La carrière de Velasquez progresse. Valet de la garde-robe (1634), valet de chambre du roi (1643). De janvier 1649 à juin 1651, il fait son second séjour en Italie, afin d’acheter des œuvres pour Philippe IV. La cour d’Espagne doit insister plusieurs fois pour qu’il rentre en Espagne, comme la cour de France avait insisté pour que Poussin revienne à Paris… Apparemment Velasquez apprécie l’escapade loin de Madrid. Sa mauvaise volonté sera sanctionnée lorsqu’en 1657, Philippe IV lui refusera l’autorisation de repartir en Italie pour ramener un fresquiste capable de décorer le palais royal. Philippe IV dut penser qu’à la troisième fois, Velasquez ne rentrerait jamais… C’est son assistant et gendre, Juan Bautista del Mazo, qui est choisi pour le voyage.

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Peintre de cour et maréchal du palais

Nommé grand maréchal du palais en 1652, Velasquez est fait chevalier de l’ordre de Santiago en 1658. Etre grand maréchal du palais est tout sauf une sinécure honorifique. Velasquez est accaparé par tous les soins que demandent l’entretien, la décoration et la bonne marche du palais, l’organisation des voyages royaux jusqu’aux détails les plus pragmatiques. Qui plus est, la cour d’Espagne ayant des problèmes de trésorerie, le salaire, comme le paiement des tableaux, est régulièrement repoussé.

Lorsque l’infante Marie-Thérèse rencontre son fiancé Louis XIV en juin 1660 sur l’île des Faisans, c’est Velasquez qui est chargé de décorer le palais. Epuisé de fatigue, il contracte une fièvre et rentre malade à Madrid, où il meurt début août. Philippe IV restera inconsolable de la mort de son peintre.

A la cour, Velasquez a peint une infinité de personnes et de personnages. Le roi Philippe IV, son garçonnet l’infant Carlos Baltasar, sa fille l’infante Marie-Thérèse ; puis la seconde épouse du roi, Marie-Anne d’Autriche, l’infant Felipe Prospero… On connaît ces portraits et leurs différentes versions, remarquables par l’intimité palpable entre le peintre et la famille royale qui est, pour le coup, « sujet » de l’artiste. Chaque portrait est à plusieurs facettes – princière, psychologique, – mais avec une parfaite unité. La touche, rapide, suggère les matières et appuie les caractéristiques physiques. Qu’on ne se prenne pas au jeu des étoffes : si Velasquez aime peindre les effets chatoyants des robes, il ne laisse pas ceux-ci prendre le pas sur les visages, et lorsque posent devant lui les hommes en austère costume noir, il sait trouver à ces costumes des noirs d’une grande richesse (Portrait du sculpteur Juan Martinez Montanès).

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Le portrait du pape Innocent X, peint lors du second séjour à Rome, est un autre chef-d’œuvre. Un siècle après le Titien qui avait peint Paul III, deux siècles après Fouquet qui avait peint Eugène IV, Velasquez donne à son tour une image du pape qui n’est pas flattée. Comme pour les portraits princiers, la puissance n’est pas mesurable à la flagornerie qui émanerait du tableau (il n’en émane aucune), mais à la réalité que Velasquez perçoit. Cette réalité a plusieurs épaisseurs. Chaque coup de pinceau qu’il donne pour modeler un visage est un curseur qui indique les vertus et les vices, les qualités et les défauts. Et, au-delà de la psychologie, Velasquez saisit quelque chose de l’âme du modèle. Dans le monde étiqueté de la cour d’Espagne, l’artiste respecte le rang de chacun mais, par surcroît et sans souci des convenances, donne à chacun sa personnalité.

Cette façon de traiter ses modèles est particulièrement palpable aux deux extrémités de son monde, du pape aux nains. Ces derniers ont droit à son attention, à sa sympathie, mais sans plus de flatterie que le roi ou le souverain pontife. La franchise de Velasquez est certainement la qualité éminente de son art, la plus immédiatement visible – ce qui ne l’empêche pas, quatre siècles après, de rester mystérieuse.

Velasquez. Jusqu’au 30 juillet 2015, Grand Palais.

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Les attributions
L’histoire de l’art peine souvent à attribuer avec certitude certains tableaux. C’est vrai pour beaucoup d’époques et beaucoup d’artistes. Telle œuvre est-elle vraiment de Velasquez ? N’est-elle pas plutôt de son atelier ? Ou une copie ?

Je crois que Velasquez est le peintre le plus simple à estampiller, tant son art est magistral. On ne conçoit pas qu’il ait une faiblesse à un moment ou à un autre de l’exécution et l’on rejette très facilement une toile sèche comme Le Père Simon de Rojas sur son lit de mort, L’Homme au verre de vin qui est vraisemblablement une œuvre d’atelier, dans laquelle Velasquez a peut-être peintre la fraise et le gant, gant qu’on retrouve dans un très bel autoportrait attribué. Quant au Portrait du bouffon Juan Calabazas du musée de Cleveland, il est irrecevable : ce n’est pas parce que Velasquez a peint le portrait de ce même bouffon (musée du Prado) que celui-ci est de lui aussi…

Pour la célèbre Vénus au miroir, le doute est dans le reflet. Le visage reflété apparaît bien gros et pas symétrique avec le modèle. Il s’agit vraisemblablement d’un ajout. Velasquez peignit-il un miroir sans reflet ?

Lu dans Présent

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