Par Francis Bergeron
A l’été 2013, au Musée des Arts et des Lettres, 222 boulevard Saint-Germain, dans le 7e arrondissement, une exposition tout à fait remarquable était consacrée à l’assassin Landru. Cette exposition, ce musée constituaient l’une des manifestations publiques de la société d’achat et de vente de manuscrits Aristophil. Aujourd’hui Aristophil, son fondateur, Gérard Lhéritier, et toutes les associations et activités culturelles gravitant autour du Musée des Arts et des Lettres, se trouvent au centre d’une tourmente économico-judiciaire.
Au départ de tout cela, il y a un homme et une idée apparemment bonne : l’homme c’est Gérard Lhéritier, un autodidacte, collectionneur de manuscrits et de documents anciens. L’idée est la suivante : il y a un vrai engouement pour les documents autographes. Leur cote monte sans arrêt, beaucoup plus vite que l’inflation et beaucoup plus vite que la plupart des placements les plus rentables. Pourquoi alors ne pas créer une société qui achèterait, à Drouot, chez Sotheby’s, chez Christie’s ou chez les spécialistes, de tels documents, quand ils ont une valeur un peu mythique et fortement financière, par exemple le manuscrit du Petit Prince, avec l’argent de futurs « copropriétaires », quitte à les revendre, ou à revendre une part de ces investissements papier, ultérieurement, avec une confortable plus-value ?
C’est ce qu’a fait Aristophil. La société recherchait des investisseurs d’un genre un peu particulier : des amateurs de littérature ou de documents historiques, et elle leur proposait d’investir dans ces documents rares ou de grande valeur. C’est autre chose que du Total ou des obligations ! 18 000 clients ont souscrit, pour une valeur globale de 800 millions d’euros environ, à cette entreprise qui leur permettait de se sentir un peu les détenteurs de trésors de notre patrimoine littéraire. Et tout cela avec un rendement annoncé à 8 %, et sous le patronage de personnalités du monde des lettres et des arts comme Patrick Poivre d’Arvor.
La société s’est magnifiquement développée, et cette exposition Landru de 2013, qui attira beaucoup de curieux, a certainement constitué l’apogée de la réussite des entreprises Lhéritier.
Mais le système comportait toutefois quelques failles : dans la mesure où Aristophil se portait presque systématiquement acquéreur des plus belles pièces passant en vente, la société a elle-même contribué à créer une bulle spéculative sur ces « produits », achetés en final plus chers que la normale, c’est-à-dire que le prix de marché sans Aristophil. Par ailleurs, nous dit l’enquête de la direction des fraudes, les « produits » achetés par Aristophil étaient ensuite proposés en tant que placements aux clients avec d’emblée un écart de valorisation de 150 %. Autrement dit Aristophil vendait des parts de Petit Prince beaucoup plus cher que leur valeur, telle que déterminée par son prix d’achat, elle-même déjà trop forte, dans beaucoup de cas. Et, du même coup, le rendement annoncé de 8 % se révélait bien évidemment totalement irréaliste. D’où les réticences de certains courtiers à rembourser les clients avec les rendements prévus, aux termes des contrats.
Aujourd’hui, Aristophil est en redressement judiciaire. Les placements ont été interrompus, les actifs des conglomérats associatifs et entrepreneuriaux, saisis et gelés. Les investisseurs-copropriétaires ont jusqu’au 15 mai pour se déclarer en tant que créanciers.
Mais devant quoi sommes-nous ? Une escroquerie ? Un « système de Ponzi » ? Une gestion imprudente ? Ou simplement les aléas de placements ? Et, au fond, peut-on reprocher à Aristophil des modes de fonctionnement de type bancaire ? Une chose est sûre : Lhéritier n’est pas Madoff. Le patrimoine, les manuscrits existent bien. Et si les 18 000 « copropriétaires » de manuscrits rares risquent de ne jamais toucher les 8 % promis, voire de ne pas retrouver l’intégralité des sommes placées, il y a des actifs importants, qui devraient permettre d’éviter le pire, qui serait une liquidation laissant sur le carreau une myriade de spoliés. Façon emprunts russes (qui se collectionnent aussi).